Elle me manque, dis-je. Tellement que j'ai l'impression d'être seule dans un océan qui recouvre le monde entier. Elle me manque tellement que je ne suis plus un être humain, juste un amas de douleur. Et parfois c'est le contraire, je ne suis plus qu'un corps, un tas d'organes, de muscles et d'os échoué sur un rivage, et l'eau salée des vagues vient me lécher sans fin et c'est affreux comme ça fait mal.
Parfois, on ne peut pas parler, ce n'est pas parce que les autres ne nous laissent pas prendre la parole, mais parce qu'on a peur de ce qu'on va dire. On ne peut se fier à sa propre voix. On ne peut pas se fier à soi-même. On reste silencieux, mutique, pour se protéger.
J'ai l'impression qu'il vient de jeter une pièce d'or dans le puits sombre de mon cœur, comme un sou dans une fontaine aux souhaits. La sensation de chaleur ne dure pas mais elle scintille en s'enfonçant dans les profondeurs.
Tous les gens sélectionnent ce qu'ils disent et ce qu'ils passent sous silence, lorsqu'ils parlent, pas seulement moi. On attend tous que les autres donnent sens au message, fassent des recoupements, et complètent les blancs entre les quelques mots qu'on a prononcés.
Elle me manque, dis-je. Tellement que j'ai l'impression d'être seule dans un océan qui recouvre le monde entier. Elle me manque tellement que je ne suis plus un être humain, juste un amas de douleur. Et parfois c'est le contraire, je ne suis plus qu'un corps, un tas d'organes, de muscles et d'os échoué sur un rivage, et l'eau salée des algues vient me lécher sans fin et c'est affreux comme ça fait mal.
Les dieux ont décrété qu'il devait en être ainsi depuis la Division. L'air était trop pollué, les gens ne pouvaient plus survivre bien longtemps En Haut. Pour sauver l'humanité, ils ont construit Atlantia. Nombreux sont ceux qui ont choisi de rester En Haut de sorte que leurs proches puissent vivre En Bas.
« Justus, l’un des prêtres les plus sympathiques, s’approche, veut me prendre la main.
- Non !
Je proteste de ma vraie voix, exprimant avec violence ma vraie souffrance, ma vraie colère. Justus laisse retomber son bras. Levant les yeux, je vois son expression choquée, abasourdie, comme si mon simple non l’avait giflé.
Je viens de rompre ma promesse. J’ai parlé de ma vraie voix en public. Et comme ma mère m’en avait avertie, il n’y a pas moyen de revenir en arrière. C’est un supplice de voir l’air horrifié de Justus. Justus qui me connait depuis toujours. Je n’ose pas jeter un regard vers la foule pour voir qui d’autre m’a entendue.
Mes pieds ont beau être fermement campés sur le sol d’Atlantia, je me dissous.
Ma sœur est partie.
Elle a décidé d’aller En Haut.
Elle ne me ferait js ça.
Elle l’a fait.
Bay m’a demandé si j’entendais la cité respirer.
J’entends ma propre respiration, maintenant. Inspiration. Expiration. Je vis ici. Je mourrai ici.
Je ne partirai jamais. »
Après avoir perdu ma mère et ma soeur, je pensais n'avoir plus rien à perdre. Je me trompais. On a toujours quelque chose à perdre. Sauf quand on est mort.
Puis je colle le coquillage contre mon oreille pour écouter le bruit du vent dans les arbres d'En Haut. Il paraît que ceux d'En Haut y entendent le bruit de la mer, eux.
– Tu es très belle, me glisse-t-il.
Il a l’air aussi surpris d’avoir prononcé ces mots que moi de les entendre.
– Je veux dire, quand tu nages… c’est très beau.
– Merci.
J’ai l’impression qu’il vient de jeter une pièce d’or dans le puits sombre de mon cœur, comme un sou dans une fontaine aux souhaits. La sensation de chaleur ne dure pas mais elle scintille en s’enfonçant dans les profondeurs.