Citations sur L'Agent secret (17)
Car, de toute évidence, on ne se révolte pas contre les avantages et les bénéfices qu’offre l’ordre social, mais contre le prix dont il faut les payer sous les espèces de moralité courante, de contrainte, personnelle, de labeur. La majorité des révolutionnaires sont surtout les ennemis de la discipline et de la fatigue.
Cependant, l’inspecteur continuait à examiner les lugubres débris, avec la physionomie placide et l’attention légèrement inquiète d’un client pauvre penché sur l’étal aux déchets, dans une boucherie, avec l’espoir d’y trouver de quoi préparer un festin peu dispendieux.
Car l'histoire est faite par des instruments et non par des idées ; et en changeant les conditions économiques, on change tout du même coup, l'art, la philosophie, l'amour, la vertu, jusqu'à la vérité...
Un homme pris par un travail qui ne lui plaît pas ne peut jamais conserver d'illusions salvatrices sur son propre compte. La répugnance, l'absence de prestige, débordent de l'emploi sur toute la personnalité. C'est seulement quand les activités qui nous sont assignées ont l'air, par un heureux accident, de correspondre à la ferveur particulière de notre tempérament que nous pouvons goûter le réconfort de nous duper complètement nous mêmes.
Il n'y a ni loi ni certitude. Au diable la propagande éducative. Ce que le peuple sait est sans importance, quand bien même il aurait un savoir infiniment précis. La seule chose qui nous importe est le degré d'émotion qui agite les masses. Sans émotion, il n'est pas d'action.
à leur manière, les plus ardents des révolutionnaires ne font peut-être pas autre chose que chercher la paix, comme le reste de l'humanité... la paix d'une vanité flattée, d'appétits repus, ou peut-être d'une conscience tranquillisée.
La folie est vraiment terrifiante, dans la mesure où on ne peut l'apaiser ni par des menaces, ni par la persuasion, ni par des pots-de-vin.
Car, de toute évidence, on ne se révolte pas contre les avantages et les bénéfices qu’offre l’ordre social, mais contre le prix dont il faut les payer sous les espèces de moralité courante, de contrainte personnelle, de labeur. La majorité des révolutionnaires sont surtout les ennemis de la discipline et de la fatigue. Il est aussi des natures qui estiment, d’après leur sens de la justice, que le prix exigé est monstrueusement disproportionné, odieux, opprimant, vexatoire, humiliant, rapace, intolérable : ceux-là sont des fanatiques. Le reste des rebelles sociaux sont les rebelles de la vanité, cette mère de toutes les illusions, nobles et viles, compagne des poètes, des réformateurs, des charlatans, des prophètes et des incendiaires.
- Balivernes ! s’écria-t-il, avec un calme relatif. Il n’y a ni loi ni certitude. Au diable la propagande par l’éducation ! Ce que savent les gens, cela nous est bien égal, quelle que soit l’exactitude de leur connaissance. Ce qui nous importe, c’est l’état d’émotion des masses. Sans émotion, pas d’action !
– Voilà ce que vous devriez essayer ! Un attentat dirigé contre une tête couronnée ou un président, c’est sensationnel, si l’on veut, mais plus autant qu’autrefois. C’est entré dans la conception générale de l’existence de tous les chefs d’État. On s’y attend, comme à une chose infaillible, surtout depuis que tant de présidents ont été assassinés. Prenons maintenant un attentat contre… mettons une église. La chose, à première vue, paraît horrible : eh bien, croyez-moi, elle ne fera pas autant d’effet que pourrait le croire un esprit moyen. Si révolutionnaire ou anarchiste qu’en soit l’origine, il se trouvera nombre d’imbéciles pour y voir une manifestation antireligieuse, ce qui retirerait beaucoup de la signification particulière que nous voulons prêter à l’action. Un attentat meurtrier contre un restaurant ou un théâtre ne servirait pas davantage : on y verrait l’exaspération d’un affamé, un acte de vengeance individuelle. Tout cela est usé ; les journaux ont des explications rassurantes toutes prêtes pour ce genre d’exploits. Je veux, de mon point de vue, vous énoncer la philosophie de la bombe ; à votre point de vue, vous prétendez avoir servi notre cause depuis onze ans. J’essaie d’être précis et clair. Les sens de la classe que vous attaquez sont émoussés ; la propriété lui semble une chose indestructible ; il ne faut pas compter, de sa part, sur une émotion de longue durée, soit de pitié, soit de frayeur. Pour influencer l’opinion publique, aujourd’hui, un attentat à la bombe doit avoir une autre portée, dépasser toute intention de vengeance ou de terrorisme : il faut qu’il soit purement destructif. Il doit être cela, rien que cela. [...]