(...), mon désir de fuite était encore plus fort aujourd'hui, il s'était mû en besoin, le besoin de laisser derrière moi un legs sanglant. Car entre-temps, j'avais appris que la violence s'insinue partout. Certes, on peut laver du sang, mais on n'efface ni le souvenir de celui qui a versé ce sang, ni la façon dont il a été versé.
Pourtant, l'origine du malheur de mon père demeurait une énigme. I n'avait jamais dit un mot sur sa vie, n'avait jamais ouvert la moindre brèche sur un passé enveloppé de mystère.
J'aurais pu mettre cette méchanceté sur le compte de sa mort prochaine, mais il avait toujours été malheureux. je l'avais toujours vu bourré de rancoeur. Je n'étais donc pas surpris que, lors de ses dernières semaines sur terre, un tourment fantomatique l'aiguillonne sans merci jusqu'à sa tombe. Parfois, il me semblait même entendre ce tourment siffler comme le vent dans le mais qui n'a pas connu la pluie depuis bien longtemps.
Je n'étais pas venu me réconcilier avec lui, ni emporter son adhésion, ni lui confesser quoi que ce soit. Pour moi, mon père était un homme rustre et ignare qui plaçait sa fierté dans sa grossièreté et son ignorance, qui les exhibait même comme des distinctions honorifiques.
Il parait qu'un insecte a un mois d'espérance de vie, dit-il en riant, révélant des dents jaunes dont plusieurs étaient cassées et de travers, conséquence du peu de cas qu'il faisait de ce genre de choses. C'est à peu près ce qu'il me reste, la vie d'un insecte, Roy, hein ?
Car entre temps, j'avais appris que la violence s'insinue partout. Certes, on peut laver du sang, mais on n'en efficace ni le souvenir, ni le souvenir de celui qui a versé ce sang, ni la façon dont il a été versé. L'innocence est fragile, et la violence en vient systématiquement à bout.