Je souhaitais au départ découvrir les différents livres de Thomas H. Cook en respectant leur chronologie, mais il existe encore tant de livres à traduire et tant de disparités entre les dates de publication outre-Atlantique et françaises que finalement, c'est au hasard que j'ai sélectionné cette fois Les ombres du passé, un roman écrit en 2004 et se déroulant en Virginie Occidentale.
Vingt ans plus tôt, alors âgé de dix-neuf ans, Roy Slater a fui la petite ville de Kingdom County pour pouvoir étudier. Mais il est provisoirement de retour afin de s'occuper de son père, atteint d'un cancer du foie en phase terminale.
"Sa fin prochaine ne faisait aucun doute."
Jesse Slater est quant à lui un vieil homme rancunier, rustre, ignare, méchant et grossier.
Roy lui est éduqué, cultivé. Il est devenu enseignant et exerce en Californie. Il lit beaucoup, a énormément de vocabulaire, comme s'il avait voulu renier ses origines modestes.
Entre les deux hommes, la cohabitation sera difficile.
"Je n'étais pas venu me réconcilier avec lui, ni emporter son adhésion, ni lui confesser quoi que ce soit."
"Tu ne m'aimes pas, papa. Tu n'as aucun respect pour moi, mon métier ou ma vie."
"Tu ne m'as jamais parlé sauf pour m'insulter."
Mais malgré les reproches, malgré l'ambiance pesante, malgré les reproches sur son célibat, Roy va rester. Son père n'a plus que lui au monde.
Vingt ans plus tôt, Archie, le jeune frère simplet de Roy, s'est suicidé en prison.
Accusé d'un double meurtre qu'il a avoué, Archie a préféré se pendre dans sa cellule. Il aurait tué les parents de Gloria, sa petite amie avec laquelle il projetait de s'enfuir à l'époque.
Leur mère, qui n'a jamais pu s'en remettre, est morte elle aussi. de désespoir et d'épuisement.
Alors bien sûr, ce retour dans la région qui l'a vu grandir va permettre aux ombres du passé de ressurgir.
A l'origine, un nouveau cadavre. Celui de d'un homme qui vivait à Waylord, une ancienne ville minière où a toujours régné la plus grande pauvreté.
" Y a rien là-bas, à part du malheur."
Désigné provisoirement comme adjoint du nouveau shérif Lonnie Porterfield, ce corps replongera plus particulièrement encore Roy dans ce passé qu'il avait voulu fuir de toutes ses forces. Parce qu'il remettra sur sa route le père de Lonnie : Wallace Porterfield, celui-là même qui avait enquêté sur le double meurtre vingt ans plus tôt.
Un carnage qui, malgré l'évidente culpabilité d'Archie, n'a pas encore livré tous ses secrets. Qui accompagnait son frère ce soir funeste ? Pourquoi le shérif persiste à soupçonner Roy d'avoir un lien avec la tragédie ?
"Je sais ce que tu as fait." "Je sais que tu y étais."
Et surtout, à Waylord vit encore Lila.
"Une jolie fille. Intelligente et vive."
Lila était le grand amour de Roy. Pas uniquement un flirt d'adolescent mais la femme qu'il aurait du épouser, avec laquelle il aurait du avoir des enfants.
"Depuis vingt ans, pas un seul jour ne s'est écoulé sans que je ne pense à Lila."
"La seule fille que t'as jamais amenée à la maison."
"Parce qu'au fond, t'as jamais vraiment renoncé à elle, hein ?"
Lila, qu'il aurait du retrouver après ses études mais qui lui a envoyé une lettre de rupture lui demandant sans ambiguïté de ne jamais revenir la chercher.
Mais vingt ans après, leurs chemins vont se croiser de nouveau.
A-t-elle pensé qu'il était mêlé aux meurtres qui avaient alors tant ébranlé la communauté ?
Roy va donc non seulement plonger dans ce passé douloureux en rencontrant les personnes liées au drame qui a dévasté sa famille, mais il va également tenter d'obtenir les réponses à tous les secrets qui entourent encore le mystère qui avait précipité sa fuite.
Pourquoi Lila a-t-elle refusé de l'attendre ?
Y avait-il réellement une seconde personne impliquée dans les meurtres ?
Que cache son père sur son enfance à Waylord ? Pourquoi voue-t-il une telle haine au shérif Porterfield ?
Quant au lecteur, il se demande dans quelle mesure Roy lui-même est impliqué, parce qu'il comprend que lui aussi cache quelque chose à propos de cette nuit-là, et qu'il n'a pas la conscience si tranquille.
Aucun doute, Les ombres du passé est bien un roman de Thomas H. Cook.
Tout d'abord parce qu'on retrouve la noirceur inhérente à ses romans. Entre cette famille détruite, ce père condamné par la maladie, ces conflits, ces amours compromis, cette immense solitude ou cette misère dominante ; il ne reste aucune place pour l'optimisme ou le bonheur. Seule la souffrance peut être atténuée.
En outre, on retrouve à nouveau un mystère passé dont l'impact vingt ans plus tard vient encore perturber le quotidien et les pensées des différents protagonistes. Même si cette fois, à l'inverse de ce qu'on pouvait trouver dans Les feuilles mortes ou Au lieu-dit Noir-Etang, le narrateur ( toujours à la première personne du singulier ) n'est pas omniscient et va reconstituer en même temps que nous les évènements de 1964.
En outre, on retrouve les thèmes chers à l'Américain : la recherche de rédemption ( tant pour Roy que pour son père Jesse ), l'énorme culpabilité de tous ceux qui auraient peut-être pu changer le cours des évènements, le besoin de liberté partagé par Archie et Roy qui voulaient fuir à tout prix Kingdom County, et bien sûr la famille, en insistant à nouveau sur une relation père-fils particulièrement complexe dans leur opposition constante et leur incompréhension mutuelle.
Est-il du devoir d'un fils de veiller sur son père lors de ses derniers jours s'il n'est pas le bienvenu ?
Un père qui a raté sa vie de famille peut-il reprocher à son fils de n'avoir ni épouse ni enfants ? de n'avoir pas su garder la seule femme qui ait jamais compté pour lui ? Et ne pas le considérer comme un homme ?
Leur culture désormais si radicalement différente sera la cause de multiples conflits, faits de remarques virulentes ou de longs silences.
Leur réconciliation est-elle encore possible avant qu'il ne soit définitivement trop tard ?
Les ombres du passé joue beaucoup sur les oppositions.
Entre les personnages bien sûr qui sont nombreux à toujours se regarder en chiens de faïence, les rancoeurs d'antan semblant à jamais immuables. Entre passé et présent également.
Mais on peut noter aussi le contraste entre l'été étouffant de 1984 ( "Il fait une chaleur d'enfer aujourd'hui." ) et le glacial hiver 1964 ( "Le futur ne m'avait jamais paru aussi brillant qu'en cette nuit de neige." ).
Ou l'opposition tout en relief entre Waylord ( situé tout en haut de la colline ) et Kingdom County, situé dans la vallée à une heure de marche. Deux villes très proches et pourtant totalement opposées en terme de richesses et impliquant que chacun doit rester de son côté, que les histoires d'amour entre personnes de classe sociale différente sont à bannir.
Les sentiments sont bel et bien présents dans le roman de Cook, mais ne font que contribuer à précipiter le drame. La relation entre le petit frère Archie et Gloria était impossible et a rencontré trop d'opposition, à commencer par celle des parents de la jeune femme. Celle de Lila et de Roy n'a pas pu connaître de suite après le départ précipité de l'aîné et les crimes commis par son frère. Même Jesse, le père si aigri, n'a pas été capable de retenir son amour d'enfance et il n'a plus jamais pu être heureux.
Apologie des premiers amours sincères ? Peut-être, mais surtout dénonciation des adultes qui au nom de vagues idéaux sociaux sont prêts aux pires machinations, aux pires brutalités, pour contrarier un amour naissant qui ne serait pas de leur goût.
Et pourtant, même si les thèmes chers à l'Américain et les sujets de réflexion sont bel et bien là, il ne s'agit pas d'un chef d'oeuvre mais plutôt d'un livre assez banal. Certes il se lit très bien et nous pousse même à tourner les pages afin de connaître progressivement toute la vérité sur les évènements tragiques passés, l'auteur jouant constamment avec nos certitudes et nos doutes dans ce roman noir aux accents policiers.
Mais ce qui manque cruellement à la narration, c'est une intensité dramatique. On reste curieux de connaître la suite mais on n'est pas emporté par tout un flot d'émotions.
Malgré la gravité des évènements, de ce cumul de drames, je suis pour ma part resté passif pendant toute la première partie avant de me sentir enfin impliqué avec la seconde, plus intrigante, qui nous fait enfin réaliser que la réalité est probablement différente de celle que l'on croyait.
Ce qui manque à ce livre, c'est un point culminant. A l'inverse des romans qui ont fait son succès et qui entraînaient inéluctablement le lecteur vers le drame final, ici la tragédie a déjà eu lieu et il ne s'agit finalement que d'en connaître les tenants et aboutissants, par l'intermédiaire de personnages auxquels on ne s'attache qu'à demi.
En résumé, un livre que je suis ravi d'avoir lu, qui m'a fait passé un bon moment notamment dans la seconde partie qui gagne en tension, mais qui fait quand même pâle figure comparé par exemple aux feuilles mortes écrit l'année suivante.
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Cette mise à distance des sentiments me gêne un peu. Sans tomber dans le sentimentalisme débordant, j'aurais aimé un peu plus d'émotions cela aurait donné plus d'épaisseur au roman.
L'intrigue est bien menée mais sans réelle surprise.
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Ce n'est pas sans risque que nous éludons certaines questions que l'on traîne ensuite toute sa vie comme un boulet. Ainsi les enfants adoptés quittent souvent ceux qui les ont recueillis pour partir à la recherche de ceux qui les ont abandonnés. Il est facile de vivre sans connaître l'histoire de l'univers, mais très difficile de vivre sans connaître sa propre histoire.
La violence s'insinue partout. Certes, on peut laver du sang, mais on n'en efface ni le souvenir, ni le souvenir de celui qui a versé ce sang, ni la façon dont il a été versé. L'innocence est fragile, et la violence en vient systématiquement à bout.
La plupart des hommes font les choix essentiels de leur vie très rapidement, et ceux qui prennent le temps de réfléchir n'en font guère de meilleurs.
Dans ses yeux brillants, je vis le soleil de sa vie se coucher.
Il ne prononça pas un seul mot de tout le reste du trajet sous le soleil brûlant, si bien que même avec les vitres grandes ouvertes, j'avais l'impression d'être enfermé dans une cage. Car la véritable chaleur provenait de mon père, de ce feu lent et destructeur qui n'avait jamais cesser de brûler en lui. Quand nous atteigniment la maison, mon père n'était plus qu'un tas de cendres.
Evidence Of Blood Trailer 1998