Il est toujours plus éprouvant de casser des miniatures que des objets à taille ordinaire. Quelque chose crisse. On se sent comme un monstre.
Qu'est-ce qu'une cicatrice supplémentaire si personne le la regarde ?
Ce sont tous ces petits indices aussi absurdes qu'une éclaboussure qu'il faut maintenant déchiffrer. On s'empare d'une autre langue. Les médecins l'utilisent. On fait confiance aux experts.
Des voisins sont passés, mais personne ne leur a ouvert la porte. On exposera le deuil plus tard, à l'église et dans les rues.
La gamine dormait, les muscles abandonnés comme seuls les enfants peuvent le faire.
Quand les prisonniers étaient trop sales, les gardiens opéraient ainsi: un seau, de l'eau gelée et les éclaboussures brutales sur les corps dénudés. Ca bloquait les odeurs, ca effacait les traces. Une petite violence supplémentaire, de ces coups discrets qui ne brisent pas les os et ne font pas saigner. Les corps doivent obéir à l'hygiène.Que vous preferiez ne pas le faire, on s'en fout bien. Quand un e cellule puait trop, on l'arrosait, avec le taulard dedans. Ils finissaient tous par se recroqueviller comme des bêtes, pliés contre les murs. Le gardien-chef se reservait ces moments. Malgré les projections de merde qu'il risquait de recevoir, il aimait pulvériser l'eau froide sur les corps affaiblis. Il faut souvent se salir les mains pour jouir un grand coup.
On n’avait jamais observé chez un suspect un tel calme, une telle distance. Il se laissait guider sans se plaindre. Pour autant, il n’inspirait aucune sympathie, ni parmi les flics, ni parmi les truands ; une question d’odeur, sans doute, et d’allure. On le toisait. Jamais il ne ferait partie de la famille. Contre lui, son crime bien sûr, de ceux qu’on ne pardonne pas, mais surtout sa classe, sa nature – le croqueur de joues porte la marque de ceux qu’on méprise.
L’escorte du criminel s’était passée sans encombre. On avait fait vite, pour éviter les foudres de la foule. On ne sait jamais ce qui peut arriver, des glaviots ou des pierres, des coups de revolver ou des mouvements de masse. On apprend ça pendant la formation – un gendarme doit aussi savoir canaliser les vengeances. Tant que le jugement n’a pas été rendu, même si les preuves l’accablent, le suspect doit être traité en innocent. On le garde jusqu’à ce que la balance ait tranché. Il faut mener l’enquête, constituer un dossier, y déposer des preuves. On cherche, on fouille, on interroge.
Quand le sang coule, la loi est un rempart.
La mère ne chantait plus, elle hurlait comme on gueule à la mort. Les mots n’étaient pas formulés, les sons s’arrachaient du ventre. Ça déchirait l’air, ça clouait les oreilles. Les aigus, les graves en lutte dans le vacarme. Personne n’aurait cru qu’une femme puisse, à la force de sa gorge, déchaîner un tel tonnerre. Les vitres auraient dû se fendre et la terre se rompre. Les fleurs auraient dû exploser et répandre leurs tripes dans le ciel. Certains cris tranchent le monde.