Dans ma tête, je t’imagine comme une personne ouverte, réfléchie et émotive à la fois. Nul doute que je t’idéaliserai un peu et que de temps en temps, je m’adresserai à toi comme si tu étais le reflet de ma propre personnalité. Par avance, je te demande d’excuser certains de mes petits travers que je ne tenterai jamais de te dissimuler. Bientôt, tu constateras également que je suis une fille sincère, désespérément franche et dotée d’un sens de l’empathie probablement excessif. Ces facettes de mon tempérament me jouent bien souvent des tours avec certains, mais elles me rendent attachante pour d’autres.
En tout cas, c’est le genre de femme que je vais essayer de redevenir et ce ne sera pas facile. Figure-toi que je viens de prendre la résolution de tourner enfin la page d’un épouvantable drame personnel. Je suis très motivée, mais ma décision est encore très récente puisqu’elle remonte à deux semaines seulement. Pour l’instant, mes efforts ne portent pas vraiment leurs fruits et je reste donc encore très fragile.
Dans ma tête, des rouages et des pignons tournent à folle allure. C’est même un tel fatras que tout se mélange. Je suis assaillie d’émotions contraires. L’excitation, bien sûr, la surexcitation de plusieurs transactions commerciales d’une ampleur colossale et donc une commission globale qui pourrait tout simplement assurer mon avenir pendant plusieurs années. L’angoisse aussi, l’angoisse de ne pas être à la hauteur, d’avoir les yeux plus gros que le ventre et de m’attaquer à un dossier qui me dépasserait si par bonheur, j’étais retenue. Et puis la lucidité… Outre le fait que je n’aurai même pas les moyens de séjourner à Paris pour visiter ses appartements, il me paraît déjà totalement inenvisageable de trouver une banque qui accepterait de me consentir un énorme prêt.
Rien de tel qu’un bon repas pour se remettre de ses émotions. Ce vieil adage de la langue française tombe plus ou moins en désuétude, mais il résume parfaitement bien ce que je ressens. Juste derrière moi, le discret carillon d’une horloge murale m’informe qu’il est deux heures et demie de l’après-midi. Le déjeuner s’achève par une tasse de thé. Le breuvage est si brûlant qu’un petit nuage de vapeur s’élève de ma tasse. Je me sens quelque peu ballonnée. Je n’avais jamais goûté de champignons aussi exquis, mais je ne suis pas habituée aux plats en sauce. Malgré cette relative lourdeur dans mon ventre, c’est avec sincérité que je complimente mon hôtesse de maison pour sa blanquette de veau. C’était tout simplement divin !
Son regard s’attarde régulièrement sur mes jambes croisées que ma petite jupe ne dissimule guère puisqu’elle m’arrive à peine à mi-cuisse. De temps à autre, quand il croit que je ne le vois plus alors que sa silhouette se reflète dans la vitre de la fenêtre, ses yeux remontent sur ma poitrine ou sur mon visage.
Certaines femmes soupireraient d’exaspération en se sentant aussi ostensiblement déshabillées de la tête au pieds. Moi, je m’en fiche. Ce regard d’un inconnu sur mes traits et mes courbes n’est pas pesant ni valorisant. Ce type n’existe pas pour celle que je suis devenue depuis que j’ai décidé de recommencer à vivre.
Cette vieille dame jolie comme un cœur est complètement piquée, mais elle est réellement en train de me confier la vente de ses biens. Dans ma conscience, cela se fait malgré moi. Je voudrais pouvoir encore douter, je le voudrais de toutes mes forces parce que, quand même, c’est complètement dément. C’est même de la folie à l’état brut ! Sauf qu’au contraire, cette issue me semble logique. Comme si c’était déjà écrit à l’instant où j’ai croisé l’éclat fascinant de ses beaux yeux verts.