- Moi, je vais finir dans une cage, à faire le tour des fêtes foraines et on m'appellera la Bête humaine et les gens paieront pour me lancer des cacahuètes à travers le grillage pour me faire changer de position et je leur cracherai dessus et ça sera l'attraction du siècle.
- Je te promets, je t'apporterai du chocolat. C'est mieux que les cacahuètes. Ce sera plus juste.
Elle a ôté sa casquette. Des plaques entières de cheveux lui manquaient. Son crâne était lui aussi marqué par les traces de brûlures. Elle me montrait son visage en pleine lumière. Sans rien me cacher, pour que je sois lucide, que je constate l'étendue des dégâts, la laideur, le malheur. Mais je n'ai rien vu. Que ses yeux.
Elle ne savait pas que c'était un homme spécial. De loin, il avait l'air normal. Quand il parlait, on pouvait supposer que rien ne le différenciait des autres spécimens de l'espèce humaine. Mais c'était faux. Mon père ne riait jamais. C'est comme s'il avait épuisé ses réserves de bonheur et que les petits écarts qu'il pouvait s'offrir parfois, de temps en temps, étaient comptés, calculés. Oui, il pouvait esquisser un sourire retenu, presque honteux, à peine généreux. Ses sourires étaient vides. Forcés. À peine apparus, ils s'effaçaient de son visage. La folie de ma mère lui avait enlevé sa capacité à se réjouir. À aimer, aussi.
Pas envie de me frotter à Wolkowit. Dans une vie antérieure, elle avait dû être un hérisson. Elle en avait gardé les piquants, le réflexe de se rouler en boule à la moindre contrariété.
J'ai pris ses mains dans les miennes. Puis je l'ai serré dans mes bras. Pas fort. Ne pas l'étouffer, penser qu'il était fragile. Son corps contre le mien ne pesait pas grand-chose. Et son odeur était un mélange de désinfectant, de médicament, et de chewing-gum à la fraise. J'ai oublié qu'il était tordu. J'ai oublié qu'il était laid. J'ai oublié son visage et sa maladie.
Dans le parc, j’avais attendu que la journée passe, assis sur le banc, avec ma musique, et les deux canards de la mare m’avaient rendu une visite amicale. Ils s’étaient accoutumés à ma présence. On s’entendait plutôt bien. Pourquoi est-ce que je doutais de ma capacité à me faire des amis ?
Je ne savais pas encore que j’allais rencontrer les plus belles personnes du monde, du siècle, de ma vie...
C'est le genre de gars qui croit pouvoir sauver le monde et qui s'aperçoit qu'il ne peut même pas se sauver lui-même.
Parfois, on rencontre des gens et c'est comme si on les connaissait depuis toujours alors que ce sont de parfaits inconnus. On a les mêmes références, le même humour, les mêmes mots. C'est étonnant de découvrir à quel point on est semblables.
Sara me jette un de ces fameux regards qui pourraient déraciner un chêne rien que par la pensée.