Un excès de prudence l'empêcha de se précipiter dehors comme la première fois. Il tendit une main vers l'extérieur, soulagé que personne n'observe son expérimentation. Dès que le soleil toucha le bout de ses doigts, un crépitement monta de sa peau qui noircit à vue d'oeil. Vaïn ramena la main vers lui.
Ce n'était pas le feu. C'est le soleil. Il y a un problème avec le soleil. [...]
L'aube, qu'il avait attendue comme une promesse de renouveau, lui sembla soudain inaccessible.
Vaïn se redressa en ramassant les deux parties du crâne. Il tenta de les rassembler pour reformer une dernière fois le visage du seul ami qui l'avait accompagné pendant ses siècles d'errance. Mais la voix du crâne s'était tue sans pouvoir lui dire au revoir.
Le petit loup bondit hors de sa trajectoire pour mordre l'entrejambe de son agresseur.
- Mon cadeau n'en est pas un, affirma Vaïn d'une voix claire. Je vais faire de toi mon fils, le descendant de ma lignée, quelqu'un qui prolongera mon oeuvre dans les régions où je ne peux me rendre.
Il marqua une pause.
- Tu seras seul. Je t'offre une vie de solitude et de traque.
La peau fine céda vite. Les muscles ne résistèrent pas plus longtemps. Puis le sang jaillit dans sa bouche et il en avala de grandes goulées. Son plaisir décupla d'un coup. La moindre parcelle de son corps se tendait. Ses yeux s'étrécissaient pour oublier la réalité. C'était plus qu'une façon de se nourrir. C'était la vie qui coulait en lui, qui l'éveillait. Même son sexe tremblait en grandissant.
La torche se reflétait dans l'eau. Les flammes dansaient sous l'influence des mouvements de l'air qui traversaient la nécropole. Vaïn déglutit, mal à l'aise. Il ne voyait ni sa main qui tenait la torche, ni son visage pourtant penché au-dessus de la flaque.
La veille encore, tout était normal. Puis il était mort et était revenu à la vie. Il y voyait une seconde chance, mais il y avait plus : un changement profond s'était opéré lors de son réveil. La Nature lui avait offert une existence différente des simples mortels pour une bonne raison. Vaïn ignorait encore ce que cela impliquait : devait-il passer une épreuve pour retrouver son humanité ? La Nature avait-elle de grands projets pour lui ? Peut-être l'avait-elle ramené à la vie pour accomplir une mission précise ?
Mais une question le hantait alors que l'ombre se raréfiait autour de lui : s'agissait-il d'un don ou d'une malédiction ?
Vaïn pressait ses paumes contre ses oreilles pour ne pas entendre les râles d'agonie et les appels au secours. Il pensait les ralentir. Les faire souffrir pour leur donner une bonne leçon. Mais c'est lui qui découvrait quelque chose qu'il ignorait sur son état.
" Mille cinq cents ans que tu te crois immortel... ", commenta Qu'une Corne, avec une pointe d'ironie.
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