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Critique de Bibalice


Les romans naissent souvent d'une belle idée, d'une impulsion positive, d'une jolie histoire à raconter, d'un goût que l'on veut sinon transmettre, tout du moins partager. Rarement, on entend qu'un livre naît d'un dégoût. C'est pourtant bien d'un dégoût dont il est question ici, de bile noire, de rêves foudroyés par la connerie humaine ou quoi, juste par la vie.

Aucun rêve ne tient ce qu'il promet dit la chanson. le rêve de Franck Courtès, c'était la photo. C'est né comme ça, en voyant une photo qui sublimait un paysage qui ne l'avait pourtant pas frappé quand il l'avait vu "en vrai". le photographe l'impressionnait aussi et lui aussi s'est dit qu'il aimerait impressionner son monde. Sur ses conseils, avisés ou un brin condescendants, il photographie ses pompes. Vous ou moi, si nous photographions nos pompes, à moins d'y ajouter un freakin' filtre Instagram, cela ne donnerait rien. Mais le rêve tient encore ses promesses pour ce jeune Franck Courtes qui vit alors encore dans un monde sans réseaux sociaux, et ses photos sont plutôt chouettes. Il est photographe. Il ya un déclic qui n'est pas seulement celui de son appareil. Franck devient très vite un artiste et ses portraits ont rapidement beaucoup de valeur. Il peut également compter sur un atout de taille, qui fait de lui une célébrité dans le milieu : il peut faire des portraits réussis en un temps record. Dans le monde de la promotion d'artistes où chaque minute compte, cela ressemble presque à un super-pouvoir.

C'est la première partie du livre, dédiée à l'amour qu'il porte à son art, sa fulgurante ascension dans la presse et les formidables artistes, écrivains, philosophes ou célébrités que son métier lui permet de rencontrer : " Comme il me fallut le défendre, ce métier ! J'en parlais comme d'une fille dont je serais tombé fou amoureux. Lui seul pouvait me sortir du lit en pleine nuit dans le froid de janvier pour immortaliser un Paris vide et brillant. Il allait m'offrir les voyages, la musique, l'amour, et un peu d'amitié !"

Comme le dit une autre chanson, il n'y a cependant pas d'amour heureux et les belles rencontres (Arthur H, Murat, Frédéric Dard, Modiano) ne suffisent bientôt plus. Et puis les amitiés, réelles, sont rares. Il y a un magnifique moment de littérature dans la deuxième partie quand Courtes raconte a quel point Frédéric Dard est chaleureux avec lui, d'une gentillesse sans fin. Hélas, il n'arrive pas à le prendre en photo, ses portraits sont ratés : "J'avais envie de l'entendre dire que j'étais ici chez moi, que je n'avais qu'à rester ce soir même, que c'était fini, que j'avais bien travaillé, que je n'avais plus besoin de repartir. [...] le badinage photographique, ce flirt incessant qui rarement débouchait sur une amitié durable, créait un vide à l'intérieur de moi, une dépression de grand fond. "

Le récit, bientôt, devient cruel. La passion n'est plus là, son métier commence à le dégoûter, comme ces stars qui - tel ce salopard de Joey Starr, le traitent comme un moins-que-rien. C'est une rupture progressive : "J'étais devenu l'employé modèle d'un système qui me rongeait. [...] J'excellait à ne pas déranger, à me faire oublier. On me complimenta une fois : "Tu sais te rendre invisible. " Triste qualité que celle de ne pas exister.

La coupe, un jour est pleine. Franck Courtés écourte telle séance, enrage à la fin d'une autre, ne prend même plus plaisir ou fierté à voir son nom accolé à une photo publiée. Certains amants ne touchent plus leur conjoints, lui ne touche plus à son appareil. C'est une page qu'il déchire un jour brutalement, pour en ouvrir une autre, celle d'un bloc-notes.

Je ne dirais rien de plus de cet abandon ni de la renaissance d'un photographe qui devient écrivain. Il faut lire ce livre, admirable, sur ce qui peut lier un homme à sa passion, et sur la destruction qu'une telle passion peut provoquer.
Il y a également plein d'anecdotes sur ce métier, ses dérives et beaucoup de gens célèbres que l'on se met instantanément à aimer ou à détester. Franck Courtès était connu pour ses portraits photos, il se peut qu'il le reste encore pour ses portraits littéraires.
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