Citations sur L'été où je suis devenue vieille (92)
On ne peut pas lifter le corps, le regard, la démarche, la voix, l’énergie. Comment s’embarquer dans les dernières périodes de sa vie de femme quand on commence à ne plus avoir la force, ni peut-être même le désir, de combattre les évidences ; par où commencer ?
Un matin, devant mon miroir, je me suis posé la question : quand est-il temps de renoncer à tous ces efforts et d’accepter la réalité ? À quel âge ce masque devient-il trop difficile à porter, trahissant plus qu’il ne dissimule ? Je ne sais pas s’il me faudra alors passer par des stades intermédiaires ; et lesquels ?
Comment ne pas devenir une vieille femme apeurée qui se recroqueville de plus en plus sur ellemême, ne pouvant plus faire face à un corps et à un monde qu’elle ne reconnaît plus ?
Après fragile, me voici usée ! Un mot qui me hante. Le corps usé, mais comment l’ai-je usé ? Et combien de liftings, de facettes, de séances de laser me faudrait-il pour ralentir l’accumulation des années ? Récemment, ce que je remarque de plus en plus, c’est l’usure mentale. J’ai toujours été dans les nuages, mais cela devient vraiment inquiétant. Je laisse mes clés sur la porte en sortant. Je cherche frénétiquement mon sac à dos avant de le retrouver… sur mon dos !
Je n’avais jamais pensé à la vieillesse jusqu’à ce que mon corps m’impose son évidence : « Isabelle, voici la vieillesse, elle est encore discrète mais prendra de plus en plus de place. Accueille-la ! » Tout en moi a résisté à cette injonction. Je m’étais toujours enorgueillie d’avoir surmonté les défis physiques et psychologiques, j’étais fière de mon indépendance et de ma liberté, les fils conducteurs de ma vie. Je ne savais ni ne pouvais exister autrement.
Le problème, c’est que pour écrire valablement sur la vieillesse, il faut être entré en vieillesse. Mais, dans ce cas, elle est aussi entrée en vous et vous rend peu à peu incapable de l’appréhender. On ne saurait traiter du sujet que suffisamment âgé… on n’est capable d’en parler que si toute jeunesse n’est pas morte en soi.
Benoîte Groult,
P 36
Le pessimisme, le mien tout du moins, est motivé par la terreur de la perte, je le comprends seulement maintenant. C'est un moyen de m'y préparer, de l'apprivoiser, d'éviter la brutalité de la disparition de ce à quoi je tiens: j'abandonne avant d'être abandonnée. C'est la terreur de la déception qui pourrait m'anéantir, du chagrin abyssal que je ne pourrais pas supporter, et que je réussis à fuir en m'y étant préparée.
«encore séduisante, la Femme mûre a «de beaux restes ». Ces mots supposés flatteurs ne sont qu'une insulte. Comme si l'on était devenue un plat d'hier à réchauffer, encore mangeable mais bientôt périmé.
Le déracinement pour l’être
humain est une frustration qui,
d’une manière ou d’une autre,
atrophie la clarté de son âme.
Pablo Neruda
Avec le recul de l’âge, et avec cette nouvelle tendresse provoquée par sa calvitie, je me suis sentie coupable d’avoir été si intransigeante, si critique avec lui. Sans lui, je ne crois pas que j’aurais voulu, ou même pu, continuer à vivre. À bout de bras et avec une infinie patience, il m’a maintenue en vie pendant de nombreuses années.