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Critique de Woland


The Visitor
Traduit par Maurice Rambaud sous le titre de "l'invité" dans "La Grande Entourloupe" - Folio
ISBN Folio :9782070375202

Première parution dans "Playboy" en mai 1965, repris dans le recueil anglais "Switch Bitch"

Qui ne connaît le fameux Oncle Oswald créé par l'imagination très fertile de l'écrivain et scénariste (qui fut aussi diplomate et agent des services secrets britanniques) Roald Dahl ? Oncle Oswald n'a, l'auteur l'avoue lui-même, qu'un seul défaut : il est incapable de concevoir la relation avec une femme au-delà de plus de trente heures. Ce qui est peu, me direz-vous. Avec ce genre de manie, pas question de mariage mais, avantage sérieux, aucun divorce non plus à l'horizon. Ne vous méprenez pas cependant : l'Oncle Oswald adore les femmes et l'idée d'avoir un rapport avec tout être de son propre sexe le plongerait dans une horreur sans nom.

Ce qui fait que, tout au long de sa vie, qui se termine, cette nouvelle nous l'annonce, en point d'interrogation - est-il mort ? a-t-il disparu dans quelque hermitage pour faire pénitence ? - Oncle Oswald aura couru filles et femmes pourvu qu'elles fussent à son goût. le désir de séduire était plus fort que lui. le désir sexuel entrait en jeu bien sûr mais enfin, disons que lui non plus ne survivait pas aux fatales trente heures. Comme vous le voyez, Oncle Oswald était vraiment un excentrique très distingué, très cultivé, maniant volontiers la plume au point de rédiger un journal de vingt-trois volumes (300 pages manuscrites par volume), grand amateur d'arachnides, de scorpions, amoureux de la beauté et du raffinement en général et donc, nous l'avons déjà indiqué, obsédé sensualo-sexuel qui aurait intrigué Sade lui-même.

"The Visitor", "l'invité" en français, débute par l'arrivée de l'énorme colis contenant lesdits vingt-trois volumes au domicile de notre narrateur, avec une lettre signée d'Oswald Hendryks Cornelius indiquant sa volonté de les léguer à ce neveu dont il n'a gardé que de bons souvenirs. C'est en feuilletant cette manne inattendue que notre héros tombe sur une étrange histoire - la dernière car le journal s'achève aussi abruptement que la présence apparente d'Oncle Oswald en notre monde, en 1939. Depuis cette date, plus personne n'a eu de ses nouvelles et la lettre est antidatée.

Suite à divers avatars que, compte tenu de l'étrange manie des "trente heures" qui afflige l'Oncle Oswald, on répugne à qualifier de romanesques, Oswald se retrouve fuyant l'Egypte et contraint, par un oubli stupide - surtout dans un tel pays - à faire halte au beau milieu du désert faute d'avoir vérifié sa jauge d'essence. Comme une espèce de petite station-service, tenue par un Arabe des plus négligés, se trouve non loin de là, le problème serait vite réglé si, par malheur, la courroie du ventilateur (ou du moteur ? ), enfin une courroie quelconque n'était venue à se rompre. D'où nécessité pour le malheureux Oswald d'attendre au lendemain pour que le Caire livre la nouvelle courroie et qu'il puisse repartir en trombe.

Fort courtoisement, le tenancier de la station-service, qui fait aussi auberge (halal, probablement ), lui propose un abri pour la nuit. Et Oswald voit avec horreur les plus épouvantables soupçons se lever à l'horizon de son imagination - au moins aussi vive que celle de son créateur, c'est tout dire - des soupçons que, pour nos lecteurs occidentaux, nous qualifierons de style "Auberge rouge", etc, etc ... le tenancier de la station-service, si repoussant qu'il soit, n'est pas idiot et s'en amuse fort - le lecteur est d'ailleurs très vite persuadé que l'homme n'aurait pas touché à un seul cheveu du malheureux Oswald.

De toutes façons, dans la gloire étincelante d'une Rolls de prix, survient alors M. Aziz, un Libanais très riche d'origine syrienne, qui s'est aménagé une fort belle résidence dans le coin et qui, parlant fort bien anglais, invite alors Oswald à le suivre chez lui où, disons les choses comme elles sont, ce dilettante d'Oncle Oswald se sent tout de suite chez lui. D'autant que M. Aziz est marié à une très belle femme (non voilée, les Frères musulmans ne sont pas encore passés par là) et possède une fille tout aussi belle et qui se trouve en âge de se marier. D'origine syrienne soit mais Libanais avant tout, M. Aziz n'est pas un chaud adepte du voile. D'un autre côté, on le comprend aussi, il ne veut pas que sa fille se fasse draguer par n'importe quel abruti - et nous avons appris depuis lors ce que M. Aziz savait depuis toujours, c'est que le mâle musulman, quand il voit une femme, ne pense qu'à une seule chose. (Certains angélistes m'objecteront : "Les autres mâles aussi, Madame et vous êtes islamophobe !" Ce à quoi je répondrai gentiment : "Les autres mâles aussi, soit, mais en général, ils se retiennent et ne passent pas à l'acte. S'ils le font jusqu'à en prendre l'habitude, ils deviennent des violeurs en série et ça se termine assez mal pour eux." J'utilise toujours le présent parce que, en dépit de la parenthèse au passé que nous traversons actuellement en Europe, le présent, croyez-moi, reviendra ... )

C'est donc pour protéger plus ou moins sa fille, laquelle a fini ses études, que M. Aziz vit désormais en plein désert mais dans un confort parfait. Oncle Oswald, que ravit la beauté des deux femmes, hoche la tête et acquiesce. Evidemment, son démon familier lui souffle déjà à l'oreille les meilleures techniques pour séduire soit l'une, soit l'autre tandis que le brave M. Aziz dormira du sommeil du juste. Et, oh ! merveille, à peine a-t-il le temps de s'étendre dans la chambre qu'on lui a préparée que la porte de celle-ci s'ouvre et que débarque une femme, mais une femme ... Très belle, c'est sûr mais Oswald ne saura jamais à qui, de la mère ou de la fille, il a fait un suçon, tout d'abord parce que celle qui le rejoint n'allume pas la lumière, ensuite parce que, le lendemain, au petit-déjeuner, les deux femmes arborent un foulard autour du cou ...

Et notre Oswald de reprendre, un peu déçu tout de même, le chemin de la station-service, dans la Rolls toujours aussi rutilante de M. Aziz. Pourtant, il est heureux, notre Oswald : la nuit fut bonne et ne dépassa pas trente heures. Que demander de plus ? ...

M. Aziz va le lui expliquer, en toute innocence (?), dans l'une des "chutes" les plus noires que l'humour de Dahl ait jamais utilisée, une chute qui apporte certaines réponses (sur la disparition d'Oncle Oswald par exemple) mais laisse dans l'ombre tout un tas de questions : le rôle du propriétaire de la station-service dans tout cela et si, en quelque sorte, Oncle Oswald ne fut pas la victime d'un pacte (financier) conclu entre le pauvre Arabe du désert et le riche Libanais à la Rolls.

Ecriture riche, puissante, qui s'attarde aux détails des diverses obsessions de l'Oncle Oswald pour nous le rendre à la fois sympathique et antipathique, écriture donc parfaitement maîtrisée et d'une malice quasi satanique, qui laisse le lecteur déchiré entre la compassion et la tentation de se dire : "Bien fait pour cet Oswald, après tout !" L'une des meilleures nouvelles de Roald Dahl. Vous ne regretterez pas de l'avoir lue, croyez-moi. Attention ! Si vous n'aimez pas l'humour noir, abstenez-vous et n'oubliez pas que Dahl en reste l'un des maîtres incontestés - et parfois terrifiants. Ce n'est pas pour rien que le grand Alfred Hitchcock l'a adapté à l'écran ... ;o)
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