Puis, brusquement isolée, à peine de l'abîme de la préhistoire, l'antique Delhi est spectaculairement illuminé comme par les derniers rayons d'un soleil couchant. Cet éclairage provient de l'une des plus grandes oeuvres de la littérature qui soit jamais néée dans le sous-continent indien : le grand poème épique du Mahabharata.
Les régimes autoritaires laissent souvent les souvenirs les plus forts ; l'art a une étrange manière de s'épanouir sous l'autocratie. Seule la vanité d'un empire - un empire émancipé des contraintes démocratiques, totalement certain de son propre jugement et toujours assuré, quoi qu'il arrive de sa propre supériorité - a pu produire le Delhi de Lutyens.
En plus, ils ont toujours eu le sentiment que la prophétie - quiconque bâtit une nouvelle ville à Delhi est condamné à la perdre - se réaliserait. Si quelqu'un abordait le sujet, mon père citait la strophe persane de sa voix la plus sombre. Et bien sûr, elle s'est réalisée. Tous ceux qui ont fondé une ville nouvelle à Delhi l'ont perdue : les frères Pandava, Prithvi Raj Chauhan, Feroz Shah Tughluk, Shah Jhan ... Tous ils ont créé leur ville et tous l'ont perdue. Nous n'avons pas fait exception.
La capitale indienne, jadis dernier bastion de la vierge chaperonnée, de la chambre fermée à double tour et du mariage arrangé se remplissait peu à peu d'amoureux : chuchotants, rougissants, parfois main dans la main, ils musardaient sous les arbres en fleur comme les personnages d'une miniature. Delhi se déboutonnait. Après le long crépuscule victorien, le sari commençait à lui glisser des épaules.
Delhi, me sembla-t-il d'abord, était plein de richesses et d'horreurs : c'était un labyrinthe, une ville de palais, un égout à ciel ouvert, une lumière filtrée par un écran ajouré, un horizon de dômes et de coupoles, une anarchie, une foule qui vous enserrait, des exhalaisons étouffantes, une bouffée d'épices.