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409 pages
Librairie illustrée (14/06/1886)
4.5/5   1 notes
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Avant Daniel Darc, il y eut… Daniel Darc (II). Dans le premier cas, il s'agissait d'un pseudonyme, dans le deuxième cas aussi. Daniel Darc fut donc, à peu près à un siècle d'intervalle, le nom d'artiste de deux personnes à priori sans rapport, et dont les oeuvres sont bien différentes. Aucun de ces deux artistes n'ayant jamais livré le secret de son choix pour ce pseudonyme, le mystère de cette inspiration similaire restera entier.
Nous nous limiterons cependant à ce premier Daniel Darc (II) de la Belle-Époque, dont il est vrai que la carrière fut bien plus brève. Derrière ce pseudonyme se cachait Marie-Sidonie Serrurier, épouse Régnier.
On ne sait de cette Marie-Sidonie (qui préférait juste être appelée Marie Régnier) que ce que révèle l'abondante correspondance qu'elle a longuement échangé avec Gustave Flaubert. Si le grand écrivain ne lui avait pas répondu, on n'aurait sans doute jamais rien su d'elle, il n'existe même pas de portrait ou de daguerréotype la représentant.
Marie Régnier était née en 1840 dans une famille de la petite bourgeoisie parisienne, où elle eût très tôt une vocation pour la littérature qui fut vigoureusement combattue par sa famille, d'une manière qui, selon elle, confinait au harcèlement quotidien. Elle s'en échappa à 21 ans en épousant un médecin plus âgé qu'elle, avec lequel elle s'installa à Mantes-la-Jolie. Son mari l'encouragea à se lancer dans les lettres, ce qu'elle mit pourtant bien du temps à faire. En 1867, elle rédige un premier roman, mais dont elle n'était pas satisfaite, et qui ne sera jamais publié. On ne connait son existence que par une lettre envoyée à Flaubert, mais sans doute détruit par Marie, il ne fut pas retrouvé. Elle attendra encore plus d'une décennie avant de se lancer réellement en littérature, en 1878, alors qu'il ne lui reste que quelques années à vivre.
Marie Regnier/Daniel Darc (II) nous a laissé cinq romans, trois recueils de nouvelles et quelques courtes pièces de théâtre qui ne semblent pas avoir été jouées. Sa mort brutale en 1887, âgée seulement de 46 ans, demeure également mystérieuse. Il pourrait s'agir d'un suicide consécutif au succès plus que modeste rencontré par son dernier roman, « Joyeuse Vie » (1886) ou suite à des raisons personnelles.
Marie Regnier a beaucoup écrit sur le thème de l'infidélité, sujet qui la hantait, l'écoeurait, mais pour lequel elle développait indéniablement une fascination difficilement refoulée. L'adultère, en effet, la révoltait par la marque de trahison et de cruauté qu'il représente, mais caressait son imagination par la formidable liberté qu'il représentait, à une époque où les liens du mariage étaient indissolubles.
« Joyeuse Vie » est une étude de moeurs autour de l'infidélité masculine, présentée comme un système inhérent à la bourgeoisie parisienne. le roman suit effectivement le projet personnel de Lionel Renaud, petit bourgeois volontiers noceur qui décide de s'établir avant que sa mauvaise réputation ne lui ôte tout espoir de le faire. Pleinement décomplexé, il conte à son ami Rodolphe comment lui-même a préféré se choisir une femme un peu de la manière dont un fermier achète un boeuf. Il a jeté son dévolu sur une jeune aristocrate fraîchement débarquée de sa province, Noémie de la Billiardère, plutôt jolie mais pas trop, tout à fait innocente, pas très futée, bonne ménagère et bonne chrétienne. Sa bêtise et son inexpérience en feront une épouse pleine de confiance, qui ne songera guère à espionner son époux. Ainsi, avant même d'être marié, Lionel prépare toute une organisation soignée pour ses futurs adultères. Rodolphe, qui a fait lui un mariage d'amour exclusif, est choqué de l'apprendre, mais Lionel, encore une fois, assume son choix : l'amour n'est qu'une duperie à ses yeux, le mariage n'est qu'un certificat de respectabilité, le désir sexuel s'assouvit ailleurs que dans le foyer, avec des femmes qui sont faites pour cela et qui ne voient pas plus loin.
Lionel partage depuis de longues années une relation secrète avec Albane de Langlade, somptueuse et ardente soprano quadragénaire, dont tout le prestige dévoué à une artiste lyrique la place au-dessus de tout soupçon, bien qu'elle soit une croqueuse d'hommes redoutable. Par pure ironie, Lionel présente Albane comme une "grande amie" à Noëline, les incite à sympathiser, et fait même chanter Albane à son mariage. Ainsi adoubée par toute la belle famille de Lionel, fort impressionnée par son talent vocal, Albane de Langlade peut espérer rester encore longtemps la maîtresse officieuse et régulière de Lionel.
Toute la première partie du roman va narrer l'histoire personnelle d'Albane, jeune femme née dans un milieu très pauvre dont elle ne sortit qu'en se prostituant, puis en devenant courtisane. Dotée d'une jolie voix, elle devient "goualeuse", chanteuse de cabaret, puis sur un coup de tête, part en Amérique pour y faire carrière. L'expérience est peu concluante jusqu'à ce qu'elle tombe sur un cabaret tenu par un français, Sébastien Langlade, dont elle devient la principale goualeuse parmi la dizaine d'interprètes qui s'y succèdent. Petit à petit, Sébastien lui propose finement de l'épouser et donc de partager la gérance du cabaret avec elle. L'affaire est trop belle, la fortune à portée de main, Albane se fait épouser par Sébastien, mais sa joie est de courte durée, car Sébastien, avec la complicité des autres chanteuses, lui avait caché que les clients payaient régulièrement pour passer la nuit avec ces chanteuses, dans une petite chambre discrète située à l'étage. La popularité d'Albane auprès du public était surtout due au fait que Langlade refusait systématiquement les propositions des clients la concernant, car il savait qu'elle ne voudrait pas monter avec eux. Mais a présent qu'elle est mariée avec Langlade, et suivant la règle qui veut qu'une femme doit toujours obéir à son mari, Langlade lui fait comprendre qu'il va falloir qu'elle monte elle aussi avec les clients, sinon il la répudiera et la jettera à la rue sans un sou.
Albane n'a d'autre choix que de recommencer à se prostituer, mais comprenant alors que son avenir est fini si elle reste dans ce cabaret, elle profite d'un petit matin pour piller le porte monnaie de son mari et la caisse du cabaret, et avec cette somme, elle s'enfuie et s'embarque pour un voyage retour en France.
Confortablement enrichie, elle ajoute une particule à son nom et prend des cours de chant. Elle devient soprano, ce qui lui ouvre les portes de la haute-bourgeoisie, et s'y fait entretenir comme courtisane par plusieurs amants fortunés, dont Lionel Renaud. Sa rouerie rigolarde l'a toujours séduite et il est devenu au fil des ans davantage son meilleur ami que son amant.
La deuxième partie du roman se recentre sur Lionel Renaud, lequel rencontre quelques inconvénients dans sa vie conjugale planifiée. D'abord, Noëline se révèle stérile. Ensuite, Madame de la Billiardière mère, vieille grenouille de bénitier naturellement misandre, commence à soupçonner la nature réelle de Lionel. Il est vrai que le couple passe les mois d'été dans la propriété méridionale de la famille de la Billiardère, et que ce séjour de presque quatre mois dans une campagne reculée est un supplice atroce pour un homme aussi parisien et mondain que Lionel. Il périrait d'ennui s'il n'allait pas culbuter dans le foin les paysannes environnantes. Hélas, dans ces petits villages, tout finit en ragots, et certains d'entre eux sont parvenus aux oreilles de Mme de la Billardière.
Enfin, revenu à Paris, Lionel se voit confier une mission familiale : la jeune Luçance de la Billiardière, la jolie petite cousine de Noëline, vient d'attraper ses 16 ans, et devient donc bonne à marier. Justement, un petit officier militaire, plus âgé mais pas plus dégourdi, a manifesté son intérêt : un jeune homme de très bonne famille et promis à un bel avenir. Comme les pères de Noëline et de Luçance sont décédés, c'est Lionel qui se trouve bombardé chaperon de la jeune fille, avec pour mission de faciliter la rencontre des deux tourtereaux en terrain neutre. Lionel s'y résout de mauvaise grâce, car comme tous le voluptueux de son temps, il n'aime guère la compagnie des vierges. La rencontre entre Luçance et son promis se fait dans une loge de théâtre, après une représentation de « Roméo & Juliette ». Mais Luçance, qui n'avait jamais été au théâtre, est totalement transfigurée par la pièce, et n'accorde qu'un regard distrait à son soupirant. Au sortir du théâtre, encore sous le coup de l'émotion suscitée par la pièce, elle demande à Lionel de pouvoir faire une longue promenade en calèche afin que ses sens s'apaisent. Mais dans cette calèche, en compagnie d'un homme beau et viril, ses sens ne s'apaisent vraiment pas, et elle finit presque par sauter sur Lionel. Pris au dépourvu mais charmé par l'aventure, Lionel se laisse aimer.
Très rapidement, assumant leur coup de folie, Luçance et Lionel entament une relation adultère d'une rare intensité, en prenant tous les risques possibles et imaginables. Lionel se sent tomber amoureux, pour la première fois de sa vie, face à ce jeune tempérament volcanique, mais leur histoire ne pouvant être officialisée, il reste attaché à son système : il incite Luçance à épouser son jeune soupirant, en lequel Lionel a pu juger un benêt à qui on ferait avaler n'importe quoi, et qui semble être né pour porter des cornes. Mais Luçance ne peut s'y résoudre : tout entièrement dévouée à sa passion, elle appartiendra à Lionel ou à personne d'autre. Hélas, la folie et la mort sont au bout de cette passion maladive, et bien malgré elle, Luçance entraînera l'homme qu'elle aime dans un désespoir sans retour, alors qu'elle découvre épouvantée qu'elle est enceinte de lui…
« Joyeuse Vie » ne serait qu'un roman de moeurs bourgeoises ordinaire, s'il n'était aussi admirablement bien écrit. L'influence de Flaubert y est immédiatement visible, mais il s'ajoute un esprit particulièrement retors, une construction littéraire à la fois tourmentée et flamboyante, une connaissance de la psychologie masculine d'une rare subtilité. Amoureuse réellement du personnage de Lionel, pour lequel elle aurait voulu être l'Albane de ses rêves, Marie Régnier fait le portrait d'un homme hédoniste et égoïste, immature et irresponsable, qui ne cherche l'émotion qu'à travers la dose d'adrénaline que lui vaut une relation interdite ou périlleuse. Son coeur ne s'éveille qu'au contact de Luçance, dont la passion soudaine est une vrille frénétique et irrépressible, charnelle et autodestructrice, qui double, triple, quadruple la dose d'adrénaline qui emporte les deux amants vers un destin tragique.
« Joyeuse Vie » est pourtant plutôt un roman joyeux dans ses deux premiers tiers, une étude sur des viveurs décomplexés mais qui trouvent quand même leur équilibre et leur goguenardise dans un mode de vie plein d'imprévus qui à l'époque était relativement marginal, - ou plus exactement parisien : il était plus facile de cacher un adultère où de s'aimer dans des endroits discrets au coeur d'une ville immense comme Paris, plutôt que dans une petite bourgade de province où tout le monde se connaissait. Néanmoins, ce que Marie Régnier semble avant tout condamner, c'est le mal que font les hommes en imposant leur très grande liberté à des femmes qui ne recherchent dans l'amour que l'accomplissement d'une vie…
C'est en ce sens que Marie Régnier achève son roman dans un drame mortifère et suicidaire que rien ne semblait prévoir avant cela, et qui témoigne peut-être d'un état inquiétant de stress psychologique. le roman est d'ailleurs dédié à Judith Gautier, qui venait de vivre de terribles déboires conjugaux avec Catulle Mendès. Marie Régnier ne s'y réfère pas directement, présentant comme un hommage, son étude de moeurs, mais elle écrit : « Elle ne vaut, si tant est qu'elle vaille quelque chose – que par la recherche attentive et sincère de la vérité – la vraie ! – celle qui n'étant ni toute blanche, ni toute noire, ne nous livre pas plus de monstres absolus que d'invulnérables héros; mais tout simplement : des hommes… et aussi – grâce à Dieu - : des femmes ».
Néanmoins, et contredisant cette préface, « Joyeuse Vie » s'achève dans une vérité bien noire, qui punit bien trop cruellement un homme et une femme qui n'ont fait que s'abandonner à un amour fulgurant qui n'a pas choisi d'être transgressif. Certes, une happy end eut rendu ce roman un peu trop scandaleux, mais cette conclusion morbide où se dévoile une âme féminine à bout de forces, pétrie de jalousie, de rancoeur et de frustration, enlève hélas beaucoup de pertinence à un roman qui est pourtant d'une rare intelligence, et qui eut gagné, selon moi, à ne pas s'abandonner à cette noirceur moralisatrice, qui a d'ailleurs peut-être bien emporté son auteur.
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