C'est la première fois que je le vois comme ça, sans les artifices du jour.
La maladie s'est installée à la maison sans nous demander notre avis. Elle couche dans mon frère et elle vient picorer dans nos vies quand elle se réveille.
Alors, je rentre dans ma tour.
La nuit est à moi, j'éteins la lumière et je fais semblant de me coucher.
En fait, je vais sur le balcon et j'attrape la gouttière.
Je descends le long de la façade jusqu'au parc.
Je confie mes armes à Gengis Khan.
— Attends-moi là !
Là où je vais, je n'en ai pas besoin.
Je m'enfonce dans le bois. Je me perds dans la forêt.
C'est un moment magique. Je suis ivre.
Mes fantômes me rejoignent et m'escortent.
Je guette les ombres, j'écoute les mille petits bruits des animaux.
Je saute la clôture et je me glisse dans le jardin des voisins, je l'explore à pas de loup puis je rentre chez moi.
Ce soir, il y a un nouveau fantôme.
— C'est toi pépé ?
— Hé oui...
— Je suis content que tu sois là.
Il est temps de rentrer, les fantômes restent sous les arbres.
Je remonte dans ma chambre.
Tiens, c'est vrai, qu'est-ce qui lui arrive à mon frère, lorsqu'il a une crise ? Est-ce qu'il quitte son corps pour aller quelque part ? Ou au contraire est-ce qu'il plonge à l'intérieur de lui même ? Est-ce qu'il va dans la quatrième dimension ? Ou est-ce qu'il visite d'autres mondes obéissant à des lois géométriques inconnues sur Terre comme dans les romans de Lovecraft ? Est-ce qu'il meurt l'espace d'un instant ? Est-ce qu'il rêve ? Est-ce une sorte de néant ? Est-ce qu'il se rappelle de rien parce qu'il n'y a rien à se rappeler ? Ou est-ce qu'on lui efface la mémoire des autres mondes ? Et s'il partait parce qu'il n'est pas heureux avec nous ?
Souvent, je tâte les os de mon crâne à travers la peau. C'est pour sentir comment est faite ma tête de mort. Les orbites... L'arête de la joue... La mâchoire... Je voudrais que ces os crèvent la peau de mon visage, qu'ils sortent au jour et qu'on en finisse. Je voudrais me tuer.
Jean-Christophe n'a plus de crises, il ne prend plus de médicaments, mais le mal est fait. [...] Le fantôme de sa maladie le suit à la trace.
Le midi, à table, mon père nous raconte la bible. J'aime bien ça, surtout quand il y a de la bagarre.
Ma mère, elle, nous raconte la conquête du Mexique par Hernán Cortés. Ça c'est encore mieux parce qu'il n'y a que de la bagarre.
Je voudrais me tuer. Mais alors me tuer salement. Avec un couteau.
Je voudrais faire couler tous le sang que j'ai dans le corps.
Tout sortirait enfin ! L'angoisse, la peur, la justice, la colère...
Je pourrais dormir tout mon saoul.
Mon sang parlera pour moi !