J'eus des permissions quand la possibilité de nous en accorder se présentait, mais pendant plusieurs mois d'affilée je ne quittai pas ce qu'on appelait le front. Le front de quoi, je ne le sus vraiment jamais, car il y avait toujours des hommes prêts à dire - Dieu seul sait avec quelle exactitude - où se trouvaient placées les troupes alliées, quelle était notre position par rapport aux Britanniques et aux Français, et si on les avait crus on aurait pensé que le front était partout. Certes nous fûmes souvent à quelques centaines de mètres seulement des lignes allemandes et nous pouvions facilement voir l'ennemi et ses casques en forme de casseroles. Si vous commettiez la folie de sortir la tête, ils pouvaient y loger une balle, et nous avions des détachements pour effectuer le même sale boulot.
Je partis sur un transport de troupes et suivis les cours d'officiers qui s'empressaient de nous endurcir un nous bourrant d'histoires sur les atrocités allemandes. J'en déduisis que ces Allemands étaient de véritables monstres ; ils ne gagnaient pas de campagnes, mais ils mutilaient les enfants, violaient les femmes (jamais moins de dix fois pour une seule victime) et insultaient la religion - voilà ce qui les incitait à faire la guerre. Ils prenaient le ton de leur Kaiser, un monstre comique et dément ; il fallait leur montrer que la décence existait encore dans le monde, et nous incarnions cette décence. J'avais alors suffisamment goûté à la vie militaire pour savoir que, si c'était le cas, les Allemands devaient être de vraies brutes, car on pouvait difficilement imaginer une bande d'endurcis plus grossiers, plus voleurs et plus débauchés que certains de nos propres soldats.
Elbert Hubbart était un Américain notoirement détraqué qui pensait que le travail pouvait être un plaisir.
Dieu est subtil mais il n'est pas cruel.
Pardonnez-vous votre nature humaine Ramezay. C'est le commencement de la sagesse. Cela fait partie de ce que l'on entend par la crainte de Dieu; et pour vous, c'est la seule façon de sauvegarder votre santé mentale.
Je connais trop bien les jeunes pour faire du sentiment en parlant d'eux. Moi-même j'ai été un garçon et je sais par conséquent de quoi il retourne : un garçon est soit un imbécile, soit un homme emprisonné qui cherche à s'évader.