Dès les premiers temps de l'esclavage, les femmes noires ont avorté seules. De nombreuses femmes esclaves refusaient de faire naître des enfants dans un monde de travaux forcés qui n'avait pas de fin, synonyme pour les femmes de chaînes, de fouet, et de viols quotidiens.
Et leur myopie historique les empêche de comprendre qu'en dépeignant le Noir comme un violeur, on invite ouvertement le Blanc à faire usage du corps de la femme noire. Cette fiction du violeur noir a toujours renforcé son complément : l'impudeur prétendue des femmes noires. Une fois que l'on a accepté que les Noirs ont une sexualité bestiale et des besoins irrépressibles, la race entière est investie de la même bestialité.
Il serait abusif de considérer cette institutionnalisation du viol comme l'expression du refoulement sexuel du maître, hanté par le spectre de la féminité blanche : cette explication est beaucoup trop simpliste. Le viol était une arme de domination, une arme de répression dont le but secret était d'étouffer le désir de révolte des femmes et démoraliser leurs maris.
Il y avait beaucoup de naïveté politique dans son analyse des derniers moments de la guerre ; elle se montrait plus vulnérable que jamais à l’idéologie raciste. Dès que l’armée unioniste eut triomphé de ses opposants confédérés, Elizabeth Stanton et ses collègues exigèrent du Parti républicain une récompense pour les efforts accomplis pendant la guerre : elles réclamaient le droit de vote, comme si un traité avait été conclu ; comme si les féministes avaient lutté contre l’esclavage en visant ce droit.
Bien évidemment, les républicains n’apportèrent aucun soutien aux suffragettes après la victoire de l’Union. Ce refus émanait moins des hommes que des politiciens liés aux intérêts économiques dominants de l’époque. Dans la mesure où la guerre entre le Nord et le Sud avait pour but de renverser la classe esclavagiste sudiste, elle profitait essentiellement à la bourgeoisie nordiste, c’est-à-dire aux jeunes capitalistes enthousiastes qui avaient trouvé leur credo politique au Parti républicain. Les capitalistes du Nord cherchaient à contrôler toute l’économie de la nation. Leur lutte contre l’esclavagisme du Sud n’englobait ni la libération des Noirs ni celle des femmes.
Parce que les sœurs Grimké avaient conscience de tout ce qui unissait le combat des Noirs et celui des femmes, elles ne tombèrent jamais dans le piège idéologique de la priorité d'un groupe sur l'autre.
page 53
Consciemment ou inconsciemment, leurs déclarations ont facilité le retour du mythe galvaudé du violeur noir. Et leur myopie historique les empêche de comprendre qu'en dépeignant le Noir comme un violeur, on invite ouvertement le Blanc à faire usage du corps de la femme noire. Cette fiction du violeur noir a toujours renforcé son complément : l'impudeur prétendue des femmes noires. Une fois que l'on a accepté que les Noirs ont une sexualité bestiale et des besoins irrépressibles, la race entière est investie de la même bestialité. Si les Noirs regardent les femmes blanches comme des objets sexuels, les femmes noires doivent certainement accepter avec plaisir les attentions sexuelles des hommes blancs. Dans la mesure où les femmes noires sont considérées comme des femmes de mauvaise vie et des putains, leurs protestations contre le viol perdent tout crédit.