Citations sur L'héritage (21)
Suzanne était une femme mince, élégante, qui savait se mettre en valeur, toujours apprêtée, même si elle ne recevait jamais de visite. Mais les marques du temps étaient gravées sur son visage, dans ses gestes, qui laissaient un goût amer à ceux qui croisaient sa route. C’était le cas du notaire justement.
Elle devait avoir tout au plus une trentaine d’années, était très jolie et affichait un sourire moqueur. Ses fins cheveux blonds retombaient en dégradé devant ses yeux, ce qui lui donnait un charme assez particulier.
Il n’aimait pas cette femme. Pas de tristesse, pas de regret, aucun inconfort. Cette mort, ce suicide, lui donnait la liberté de vivre une nouvelle vie, SA vie, celle qu’il choisirait. Il se doutait bien que cela ne serait pas facile, parce qu’inattendu. Mais depuis dix-huit ans il endurait un enfer.
Elle avait connu une enfance exécrable, il lui semblait normal de faire vivre la même chose à cet enfant qu’elle ne comprenait pas, dont elle n’avait même pas voulu. Marius se savait mal-aimé de cette femme qu’il ne considérait pas comme une maman.
L’écriture restait son bonheur quotidien. Il n’avait besoin de rien d’autre, raison pour laquelle il avait décidé d’acheter cet appartement déjà meublé, absolument hors de prix, avec ses droits d’auteur de plusieurs années, sachant qu’il ne dépenserait rien de plus, pas même pour des vacances. C’étaient des dépenses qu’il estimait futiles. Il ne comprenait pas l’importance que les gens portaient à ses moments coûteux et si rapidement oubliés. Son enfance ne regorgeait pas de ces instants familiaux et ne contenait aucun agréable souvenir qui aurait pu rendre son passé un peu plus joyeux.
Chacun menait sa vie de son côté tout en gardant un œil sur l’autre, surtout elle, qui le considérait un peu comme son fils en butte à de perpétuelles crises d’adolescence.
Une fois que les idées foisonnaient, rien ne pouvait l’arrêter. Ses doigts virevoltaient sur les touches du clavier sans que rien ne l’atteigne, pas même la faim qui, pourtant, tiraillait son estomac. Cette douleur le laissait de marbre jusqu’à ce que son cerveau décide que son corps exigeait une pause.
Sa seule passion était l’écriture, au grand bonheur de son lectorat qui le lui rendait bien. Cela dit, lui n’arrivait pas à entrer en symbiose avec ses lecteurs, à leur être sympathique, à participer aux discussions lorsque sa maison d’édition l’obligeait à se rendre à des séances de dédicace. Étant donné qu’il n’en acceptait que très rarement, et surtout par contrainte, chaque sortie devenait un événement préparé en amont par toute l’équipe de communication. Marius Faure se révélait être LA poule aux œufs d’or qu’il fallait coûte que coûte préserver. Chacun devait être à l’écoute de ses moindres désirs, ne surtout pas le contrarier même si, parfois, on chargeait Iris de le secouer afin de le ramener à la réalité.
Le pire, c’est qu’elle avait encore des sentiments pour cet homme bourru qui ne lui apportait rien de bon. Que du malheur, de la tristesse et des douleurs à force de travailler dans les champs comme une forcenée. Les mains blessées, les ongles arrachés, le dos voûté par la souffrance, les genoux écorchés, cette femme ne vivait pas, elle survivait, pour ses filles. Elle rêvait d’une existence meilleure.
Héritage, ce mot semble à la fois porter la tristesse et les prémices d’un avenir sensible à la nostalgie du passé. Triste, car il sous-entend un décès, et beau parce qu’il envisage un renouveau sans pour autant oublier ceux qu’on a aimés.