« Ces deux hommes avec toi, que sont-ils au juste ? / Une attente. » (p. 217)
Rivées aux carreaux, des ventouses électromagnétiques maintiennent John l’Enfer comme une mouche contre les façades des buildings. Et pour ça, il touche un peu plus de six cents dollars par mois. Il sait par expérience que chaque gratte-ciel est une petite montagne, avec ses vents propres, son microclimat, ses pièges.
« Le douzième laveur de carreaux qui s’écrase en moins de six mois. Tous des Indiens. Je le croyais pourtant différents de nous autres, insensibles au vertige ? / Oui, ça se passe dans leur oreille interne. Maintenant, si ça se trouve, ils s’adaptent. Et ils en meurent. » (p. 13)
« Il accepterait de pas toucher Dorothy Kayne, jamais. De ne pas danser avec elle, de ne pas changer ses pansements. Mais qu’elle vive dans sa maison, seulement ça – et rien d’autre. Elle est la millième femme, peut-être, dont John l’Enfer rêve de suivre la vie pas à pas. » (p. 86)
« Il faut se méfier des villes, ça vous assassine mine de rien. » (p. 162)
"Bien sûr, [...], l'accusation délire complètement. un pauvre type comme John l'Enfer est incapable de détruire New York. Incapable même d'en concevoir l'idée." (p. 119)
Chaque soir, Ashton Mysha déshabille Dorothy Kayne. Tandis que John, dans la pièce voisine, regarde la télévision et augmente le volume du son pour ne pas entendre le froissement de la jupe ou du chemisier. Mais quand il n'entend pas, il devine.
Chaque soir, Ashton déshabille Dorothy. Le déshabillage terminé, il y a le frottement des orteils de Dorothy sur le plancher. Le gargouillis de la douche. L'autre jour, la jeune femme s'est brulé ses pieds nus parce qu'elle ne trouvait pas l
Le secret, c’est peut-être d’accepter les aiguillages comme ils viennent ; de ne pas regarder derrière soi pour tenter de retrouver la route perdue.
Lorsque John entame sa progression sur le flanc de la montagne
absolument verticale, en manœuvrant les pattes grêles de la bête-à-
ventouses, les gens de la rue s’arrêtent, lèvent les yeux, ils le
regardent faire et, parfois, le saluent de la main. Mais peu à peu, ils
se lassent et s’en vont : pour eux, ce sont toujours les mêmes gestes
qui recommencent. John l’Enfer, lui seul, sait qu’aucun de ses
efforts ne ressemble au précédent. D’abord, il y a le risque qui
augmente - moins en fonction de l’altitude que de la fatigue.
Ensuite, la musculature s’assouplit, les mouvements sont plus
heurtés, plus audacieux. Au fur et à mesure que les vitres retrouvent
leur transparence, une sorte d’optimisme comparable a l’ivresse
gagne le laveur de carreaux. Dans certains cas, il ira peut-être
jusqu’a se lâcher d’une main pour atteindre tel ou tel recoin. Il siffle,
puis il chante, puis il se raconte des histoires. Le vent écarte ses
lèvres, pénètre en trombe dans ses poumons : autant 1’air du rez-de-
chaussée était gluant, lourd, comme filandreux, autant le vent d’en
haut est rafraîchissant, purifié; un vent bleu comme le sang.
La première demi-heure est pénible, la deuxième est vivifiante;
c’est au cours de la troisième demi-heure que, accoutumance
aidant, tout peut arriver.
Il faut, à intervalles réguliers, prendre la mesure du vide, défier le
vertige; ne pas s’intéresser a ce qui se passe derrière la fenêtre, a
l’intérieur du gratte-ciel : sinon, on a vite fait de se croire sur terre ;
le plus dangereux, c’est la fille qui peint ses ongles, qui souffle
dessus, qui les tourne vers la lumière du jour, la moquette est
épaisse et verte, tout est doux, infiniment trop.