Le mercredi 24 avril 1793, une jeune fille de quinze ans, belle comme le jour, timide et modeste comme il se devait, se mariait dans une capitale en effervescence.
Il a l’imagination vive, la repartie heureuse, de la gaîté et un ensemble de qualités qui le font aimer de ceux qui le connaissent ; la bienveillance qu’il inspire a toujours fait son bonheur.
Ce bon vivant était célibataire et avait des liaisons, ce que la prude sœur traduit par : « Son cœur naturellement sensible avait souvent éprouvé des sentiments assez vifs, mais peu durables pour plus d’une belle.
Le talent et le génie attiraient Mme Récamier plus sûrement que l’aimant attire le fer. Comme « il était dans sa nature d’aimer passionnément ce qu’elle admirait », elle se trouva liée aux deux grands génies littéraires de l’époque : Mme de Staël fut son amie, presque sa sœur, et Chateaubriand l’homme avec lequel elle devait former, à travers bien des vicissitudes, un couple.
Toutes les femmes qui ont voulu l’imiter sont tombées dans l’intrigue et dans le désordre, tandis qu’elle est toujours sortie pure de la fournaise où elle s’amusait à se précipiter. Cela ne tient pas à la froideur de son cœur, sa coquetterie est fille de la bienveillance et non de la vanité. Elle a bien plus le désir d’être aimée que d’être admirée.
A l’issue de la Révolution, la bourgeoisie avait sans doute assis son pouvoir, mais la société n’était pas encore recomposée. Les nouveaux riches qui tenaient le haut du pavé ne pensaient qu’à augmenter leur fortune et à s’amuser. Les premières années du Directoire virent le triomphe des modes extraordinaires lancées par les merveilleuses et les muscadins, jeunesse dorée qui, pour avoir manqué de perdre la tête, l’avait tout à fait tournée. Le costume grec, un temps laissé aux actrices et aux filles, gagna toute la gent féminine, en partie parce qu’il offrait l’avantage de supprimer les inconfortables corsets. Ceux-ci disparurent, puis les jupons, puis les manches, puis les souliers remplacés par des semelles attachées de rubans croisés. Les tuniques d’abord légères devinrent immatérielles.
Ce « je n’en suis point amoureux » fait quelque peu pendant à la phrase de Mme de Staël disant de son mari : « De tous les hommes que je n’aime pas, c’est celui que je préfère. » Les deux femmes épousèrent sans les avoir choisis des hommes plus âgés auxquels elles ne furent jamais liées par des liens amoureux.
« La figure d’une femme, quelles que soient la force et l’étendue de son esprit, quelle que soit l’importance des objets dont elle s’occupe, est toujours une raison ou un obstacle dans l’histoire de sa vie. »
On a beaucoup parlé de la laideur de Mme de Staël. Aucun des portraits peints dans sa jeunesse n’en rend compte, mais on sait que le métier des peintres est aussi de flatter. Cette disgrâce serait sans doute à nuancer et il serait plus exact de dire que le physique de la jeune femme ne correspondait pas aux canons de l’époque.
On peut aussi alléguer à la décharge de la jeune Juliette sa réelle naïveté. Ignorante des réalités de la sexualité, les redoutant sans doute, elle jouait sans le savoir avec le feu. Avec le temps, cette excuse s’estompera.
Si Juliette eut en matière de coquetterie bien des accusateurs, elle eut aussi des défenseurs, sa coquetterie paraissant d’autant plus inoffensive qu’elle était chaste.
« Une vie de petites coquetteries n’élève pas l’âme. Elle vaudrait beaucoup mieux si elle n’avait pas dépensé tout son cœur et son âme de tous les côtés. »