Citations sur Une femme avec personne dedans (46)
L’envoi de son texte, son histoire familiale déversée
brutalement dans la conversation, ce n’était pas vraiment un appel au secours. Elle voulait que je la reconnaisse, elle qui affirmait sa souffrance. Que je la reconnaisse comme écrivain, parce qu’elle ne pouvait être que cela, son statut de victime légitimait sa démarche autant que le résultat. Elle prenait le trauma comme une preuve implacable : puisque l’horreur est vraie, il y a littérature. Elle n’avait pas saisi qu’une plaie seule ne chante guère, mais je ne pouvais pas lui dire la vérité.
Vous êtes Chloé Delaume ? Voix sans âge et femelle légèrement
anguleuse au creux du téléphone. Isabelle Bordelin,
ça vous dit quelque chose ? Un blanc, quelques secondes.
Ça vous dit quelque chose ? J’identifie enfin. Une lectrice,
des échanges le mois précédent. Une histoire déplaisante,
j’aimerais mieux oublier. Elle s’est suicidée avant-hier.
L'écriture n'apaise pas, elle redouble la douleur puisqu'on la sollicite. L'écriture permet juste de se noyer avec grâce, lentement, pleins et déliés, élégance du je coule, dissociation rendant le mouvement supportable, je m'appelle Ophélie j'habite en asphyxie mais je suis extrêmement bien habillée.
Parole d’ange, plein juillet. Elle ne dit pas oublie, encore moins oublie-moi. Je suis morte de n’avoir su m’inscrire dans la vie, pas plus que dans la fiction que j’avais convoitée : tout cela, elle le tait. Elle me montre du doigt, index gauche pointé sur le clavier de mon pc, l’écran change de couleur, une zébrure arc-en-ciel. La coupe s’emplit de fumée blanche, du nuageux au plafonnier. Écris donc ce que tu as vu, ce qui est, et ce qui doit arriver ensuite. Alors je m’exécute, et endosse aussitôt le rôle de l’héroïne.
Je ne suis qu'une soixantaine de kilos de viande molle qui a un petit souci d'identité.
Je suis en transition, par quels fils suspendue, certains sont narratifs, qui ne dit mot consent, l'histoire peut coudre ma bouche, rien ne serait rapporté. Se taire c'est nier l'Épreuve, sa violence et l'aigu de sa réalité. Alors. Être une parole. Parmi la multitude de ces voix asphyxiées.
Les prostituées savent bien qu'un vice jamais ne s'apaise. Seules les bourgeoises s'acharnent à croire que l'homme est une vertu.
J'aimerais faire quelque chose. Qui saurait transformer la boue faite de nos pleurs en une plaine dégagée.
Dans la tour, elle est seule, ainsi qu'elle l'a rêvé. L'épreuve consiste soudain à affronter le réel. Domicile conjugal, foi, vie chrétienne. Elle allait à la messe même quand elle se prostituait. Elle ne pratiquait plus depuis quelques années, mais ça la rassurait quand même de temps en temps, le pari pascalien. Elle jouait à Dieu y es-tu il n'y a pas si longtemps, à présent elle ne peut s'adresser à quiconque. Igor est tellement loin, il lui semble que l’alliance gît au fond du tiroir depuis non pas un mois mais des siècles d'érosion tant le lien distendu toujours plus s'effiloche.
A quoi ça sert, les maris, à part à aller chercher le Coca Light. Je l'ignore et j'en ai eu deux.
L'amour est un acte sans importance puisqu'on peut le refaire indéfiniment.