Citations sur Valse russe (67)
Il n’y a pas d’âme russe, il n’y a que des humains qui essaient de survivre dans les conditions qu’on leur impose, il n’y a que des décisions politiques qui influent sur leur manière d’être, qui rétrécissent ou agrandissent leurs espoirs et leurs journées.
(page 163)
Vania avait découvert la hiérarchie tacite qui régulait la troupe de mercenaires : il y avait d’abord eux, les bleus, assimilés à de la viande à canon, puis les cadres, à peine plus aguerris, et au-dessus de la mêlée, ceux que tout le monde appelait les « musiciens » : les mercenaires de Wagner de la première heure, rompus aux combats en Afrique, ceux qui posaient parfois pour la photographie sur la ligne de front avec un violon ou une guitare devant le panneau d’un village anéanti et conquis.
Je veux raconter que partout, dans le Donbass, les soldats creusent et meurent. Une armée de taupes dans une guerre de bombes et de pelles. Les forces ukrainiennes s’enterrent pour résister aux coups de boutoir des troupes russes, qui ne cessent d’avancer malgré leurs pertes monstrueuses : plus de trente mille hommes sont passés sous le hachoir en trois mois. J’ai l’impression d’évoluer dans un livre d’histoire sur la Première Guerre mondiale, j’assiste à des scènes que je croyais révolues.
Sacha pousse le pion du roi d’un air méfiant. Il connaît quelques ouvertures et, comme toutes les personnes de sa génération, sculptées par le modèle soviétique, maîtrise assez bien les grands principes du jeu d’échecs.
(page 73)
L’avancée des troupes russes effraie tout le monde. Les Ukrainiens en parlent comme d’une invasion d’insectes géants. Ils surnomment les Russes, les « Orques », tandis que les Russes parlent de « nazis ukrainiens ». Le processus vieux comme le monde de déshumanisation de l’adversaire est déjà engagé. Lorsqu’on aura ôté toute humanité à l’ennemi, il sera plus facile de le piétiner.
L’avancée des troupes russes effraie tout le monde. Les Ukrainiens en parlent comme d’une invasion d’insectes géants. Ils surnomment les Russes, les « Orques », tandis que les Russes parlent de « nazis ukrainiens ». Le processus vieux comme le monde de déshumanisation de l’adversaire est déjà engagé. Lorsqu’on aura enlevé toute humanité à l’ennemi, il sera plus facile de le piétiner.
(page 45)
Je vois encore l’homme tenter de se reconcentrer et qui finit par lâcher ces mots que j’ai griffonnés sur un carnet :
« Poutine est conseillé par d’ex-kagébistes qui ont l’obsession paranoïaque du secret. Ils croient toujours que si l’on n’annonce pas une mauvaise nouvelle, elle n’existe pas. Poutine raisonne toujours comme un bolchevique, et pour un bolchevique, il n’y a que deux façons de voir les choses : la sienne et celle qui est fausse. »
- je sais que tu as été un héros, Sacha, mais tu n’es pas allé à la guerre. Tchernobyl, ce n’était pas la guerre. Dans la guerre, pendant des mois, chaque minute, chaque seconde peut être la dernière de ta vie. Tu le sais, tu le sens, tu le vois. Et quand la dernière bombe est tombée, la dernière balle tirée, le dernier mort enterré, on rentre, et on ne retrouve jamais ce sentiment de sécurité. Il s’est dissous pour toujours. Moi-même, à mon retour, j’ai cru que tout serait comme avant, mais j’ai vite déchanté. Jamais je n’ai retrouvé ma vie d’avant. Jamais.
A cet instant, en voyant la flamme jaune et bleue lécher le réservoir gelé, j'ai compris que les Russes avaient non seulement une autre manière de réfléchir que les Français, mais aussi des notions de sécurité très relatives.Pour eux, les risques sont des aléas avec lesquels il faut apprendre à vivre ou bien mourir.
Sans regarder son reflet, Sacha se dit qu’en vieillissant les miroirs se couvrent de taches comme les mains des hommes.
(page 31)