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Citations sur Guyanes (12)

Quand le dernier arbre sera abattu,
la dernière rivière empoisonnée,
le dernier poisson capturé,
alors seulement vous vous apercevrez que l'argent ne se mange pas.

(Proverbe amérindien)
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Clara avait vécu tout cela. Elle avait connu la mélodie irrésistible de la révolution en marche, ses gros coups de tambour et ses trilles flûtées. En revanche, elle ne s’était pas vraiment penchée sur la signification des paroles qui se mariaient avec ce chant. Elle avait remplacé, dans son cœur qui aimait pour la première fois, les revendications par des mots de tendresse, des serments et des promesses qui prenaient son Bamboche pour seule cible. Il était son amour, son amant, sa révolution à elle. Auprès de lui, elle était heureuse et se sentait capable de renverser le monde. Pourtant, dans un coin de sa tête, elle se reprochait de ne pas avoir pu ni su faire plus pour la cause, pour la Commune. Elle devinait, de façon tout aussi désagréable qu’insistante, qu’elle n’avait pas compris l’importance réelle de cette guerre civile. C’était la raison pour laquelle, dès qu’elle le pouvait, durant les trente minutes de promenade du matin ou de l’après-midi, et lors des heures infinies où on la forçait à effilocher de l’étoupe ou à confectionner des chaussons idiots, elle venait se pendre aux lèvres d’Amandine Idéïous. Celle-ci savait. Clara voulait apprendre, apprendre pour comprendre.
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- Ecoutez-moi bien, jeune homme. Notre ami Mac Mahon possède une bonne majorité et il lui reste deux ans de pouvoir présidentiel. Et je peux vous dire, tout à fait entre nous, qu'il se fout de la Guyane comme de sa première chemise. D'ailleurs, Paris se fout de la Guyane. La France entière se fout de la Guyane. Personne ne pourrait même le situer sur une carte, ce pet de mouche que l'on nomme Guyanne !
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En abattant la Commune, les bourgeois de Versailles ont abattu le peuple de Paris, le peuple de France. Nous, on voulait un autre monde. Pas un monde où les riches font ce qu’ils veulent et les pauvres, hélas, ne font que ce qu’ils peuvent. Mais c’est eux qui ont gagné. Et comme l’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs, va-t’en savoir ce qu’il restera de nous, pour les générations qui viendront après qu’on sera parties.
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Quinquina. Chaque année, la colonie faisait venir à grands frais des quantités phénoménales de ces petits cachets nommés quinine, les seuls capables d'atténuer et de soigner les effets ravageurs du paludisme. Cette fois, Mané et Jujube tendirent l'oreille. Le palu et ses fièvres, ils connaissaient. Cette affection violente pouvait réduire à l'état de loque n'importe qui, et bien des bagnards n'auraient pas hésité à tuer afin de se procurer un seul cachet de cette quinine. Comprenant qu'il avait réussi à capter leur attention, Dubernard expliqua que cette plante avait été découverte au Pérou, des siècles plus tôt, chez des tribus d'Indiens des hauts plateaux. Les Jésuites s'en étaient ensuite emparée et avaient amassé une véritable fortune en la diffusant en Europe. La comtesse de Chinchón, épouse du vice-roi du Pérou, l'avait elle-même popularisée sous le nom de ''poudre de la comtesse ''. Bientôt, le Tout-Paris s'était passionné pour cette médecine qui, disait-on, était parée de mille vertus et se révélait capable de calmer sinon de guérir les affections les plus diverses, depuis le simple rhume jusqu'à la jambe cassée.
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Les Wayanas, avant l'arrivée des orpailleurs, vivaient en paix. Leur philosophie était d'une simplicité désarmante. Pour eux, seul existait l'instant présent. Le passé était le passé, on ne pouvait le changer. Le futur n'existait pas encore, et il ne servait à rien de s'inquiéter pour une chose qui ne possédait pas de réalité. Ils consacraient ainsi toute leur énergie à jouir du temps qui passe . À la naissance, il n'y avait ni riche ni pauvre. Chacun ne possédait en propre que ce qu'il fabriquait de ses mains et il ne serait jamais venu à l'esprit d'un Wayana de vouloir posséder plus que nécessaire. S'élever, tenir un rang social, étaler ses richesses ou, au contraire, masquer sa pauvreté ? Rien de tout cela n'avait de sens. La seule vie raisonnable qui existât ici-bas était celle qui passait ainsi que le fleuve et que l'on pouvait toucher de ses doigts.
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Pour les moins chanceux, ce sont les colonies qui nous attendent. Casser des cailloux, pour les hommes. Espérer une amnistie et compter les jours, pour les femmes. Ne pleure pas sur notre sort, ma fille. On a fait un rêve, peut-être un rêve démesuré. Et ça, dis-toi bien que personne ne nous le prendra. Jamais.
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(Les premières pages du livre)
Chapitre I
« Les riches font ce qu’ils veulent. Les pauvres font ce qu’ils peuvent. »
Proverbe guyanais

« Silence, Dans les rangs! La prochaine que j’attrape à parler, je lui colle trois jours de mitard. Vous m’avez bien compris? Le mitard, avant la cale et le pays des singes verts. Vous ferez moins les bravaches que sur les barricades. Allez, garces! On file, on file! On file et on se tait!»
Les mots de l’argousin avaient claqué dans le matin comme autant de gifles sèches. Sur la petite route qui menait d’Aix-en-Provence à Toulon, la cohorte des bagnardes replongea aussitôt dans son mutisme. En ce mois déjà étouffant de juin 1872, l’on n’entendit plus alors que les galoches de bois sur le chemin de pierres. Ces bêtes de somme, une trentaine tout au plus, piétinaient sous la surveillance étroite de soldats placés à intervalles réguliers.
Après avoir essuyé la sueur qui coulait de son front, le gardien enfouit son mouchoir dans la poche de sa veste et reprit, cette fois pour lui-même: « Et dire que c’est cette chienlit qui voulait faire la révolution. Même le bagne, pour ces gredines, c’est encore trop bon.– Salopard... »
Malgré la crainte du cachot, Clara n’avait pas réussi à emprisonner dans sa gorge ces trois syllabes hérissées de mépris. Le maton, en réalité un bon papa dans le civil, ne les entendit d’ailleurs pas – ou peut-être fit-il seulement semblant. Il avait trop de métier pour répondre à la première provocation. Pour lui, ces femmes-là ne comptaient pas plus qu’un simple troupeau de chèvres. Son rôle était de les conduire d’Aix-en-Provence jusqu’au bagne de Toulon, avec le moins de casse possible.
Sur le même ton martial, il jappa une nouvelle fois: «On avance ! Et en silence !»
À main gauche, la silhouette lourde du massif de Sainte-Victoire semblait s’être assoupie, pelotonnée en gros chat. À droite, sur l’éperon rocheux du village de Fuveau, se détachait en contre-jour l’église Saint-Michel, que les paroissiens du cru désignaient volontiers, avec une fierté non feinte, sous l’appellation de basilique. Entre les deux, une plaine fertile où les parcelles d’oliviers, de blé et de vignes se disputaient le moindre mètre carré. L’angélus de sept heures avait sonné depuis longtemps déjà et, courbés sur leurs travaux de peine, les quelques paysans disséminés de part et d’autre de la route ne levèrent pas même les yeux sur ce convoi de poussière qui ne faisait que passer. Depuis la fin de la Commune, près de deux années s’étaient écoulées. Au début, le spectacle des bagnards, hommes ou femmes, avait bien un peu excité la curiosité. On avait délaissé les outils et la tâche pour les voir se traîner dans la pierraille, eux qui tiraient la chaîne jusqu’à Toulon avant d’embarquer pour la Guyane ou la Nouvelle-Calédonie. On leur avait lancé des insultes, des quolibets. Puis, à force d’habitude, l’on n’y avait même plus prêté attention. Chacun portait sa croix. Celle de la terre à enfanter n’était guère plus légère que celle de la justice à rendre. Qu’il pleuve ou qu’il vente, les cohortes des réprouvés avaient continué à se succéder. Il n’y avait plus désormais que les enfants les plus jeunes qui, parfois, s’asseyaient sur les talus herbeux des bas-côtés afin de profiter tout à leur aise de ce spectacle gratuit, celui de la désespérance en marche.
Placée en tête de la chaîne processionnaire, Clara se retourna tandis que le convoi obliquait vers le Sud, en direction du hameau de la Bouilladisse. D’un seul regard, elle embrassa le ciel pur de Provence, le moutonnement des champs grillés par le soleil, l’échine blanche et indigo de Sainte-Victoire.
Sous leurs masques de peine et de souffrance, elle reconnut le visage de chacune des filles qui lui emboîtaient le pas. Toutes étaient passées par le même calvaire, toutes arboraient des rictus douloureux figés par la colère, indifférentes à la honte, à la chaleur. L’enthousiasme de la Commune et les espoirs fous d’un nouveau monde à naître, les réunions enfiévrées des cercles, les amitiés et les amours naissantes sur les flancs des barricades, la confraternité d’une classe se soulevant contre le capitalisme, tout cela était désormais loin. Presque une autre vie. La cruauté imbécile d’Adolphe Thiers avait tranché dans le vif. Paris s’était dressée contre Paris ? Il avait répondu au peuple par le feu, la poudre et le sang. Chacun en avait eu son compte. Clara non plus n’avait pas abandonné sa part aux chiens. Clara, mais aussi toutes ces bagnardes qui la suivaient. Blanchisseuses, dentellières, brodeuses, piqueuses de bottines, cigarières, simples journalières ou paysannes montées à la capitale pour inventer un nouveau monde sur les cendres encore chaudes du précédent : toutes y avaient cru. Elles avaient joué, elles avaient perdu. Le coup avait été dur, mais régulier. Dans le train pénitentiaire qui les avait conduites de Paris à l’étang de Berre, puis de celui-ci à Aix-en-Provence, il n’y avait eu ni soulèvement ni tentative d’évasion. Aucune plainte ne s’était élevée – sinon pour maudire les maladroites qui, d’un coup de pied, manquaient parfois de renverser le pot d’aisance, plein jusqu’à la gueule. Celles qui avaient eu besoin de pleurer l’avaient fait en silence. Pour l’heure, elles étaient encore des femmes. Parvenues à Toulon, elles savaient de façon confuse qu’elles deviendraient autre chose. La Cour de Versailles leur avait assez rabâché qu’elles étaient la lie de la société. À Toulon, elles entreraient, de gré ou de force, dans la peau de leur nouvelle existence.
Ce ne fut qu’une fois étendue sur son bat-flanc, le corps brisé par une marche qui avait duré deux jours entiers, que Clara prit le temps de se remémorer les raisons pour lesquelles, à pas même dix-huit ans, elle avait atterri au bagne de Toulon. Celles-ci ne possédaient rien de rare. Si la Commune n’était pas venue pousser de la corne dans son quotidien de misère, Clara n’aurait jamais tâté de la chaîne. Elle était née le 16 décembre 1854, à Aix-en-Provence, le jour même de la mise en service du barrage François Zola. Son père, terrassier né à Bari, s’était crevé la paillasse afin que cet ouvrage pût voir le jour et que les Aixois, hiver comme été, pussent boire jusqu’à plus soif. Deux ans plus tard, imitant le concepteur du barrage, il était mort d’une mauvaise pleurésie, abandonnant dans leur taudis de la ruelle La Baratanque une femme noueuse comme un pied de vigne et une ribambelle d’enfants malingres, méchants et pétris de vices, passés maîtres dans l’art du chapardage.
«Dame... Il fallait bien manger.»
À la mort du père, la mère prénommée Giuseppina avait fait de son mieux, plaçant plusieurs de ses filles à l’usine de savon. Les garçons, eux, avaient trouvé à se louer dans les campagnes des alentours, du côté des Granettes ou du Val de l’Arc. Elle, avait redoublé d’efforts dans la minuscule échoppe de passementerie qui l’employait depuis déjà une dizaine d’années, rue Fabrot. Là, en compagnie de sa fille Clara dont elle avait obtenu l’embauche en tant qu’apprentie, elle ne comptait plus ses heures, tirant sur le fil jusqu’à la nausée, le front bas, les lèvres scellées. Dès le premier jour, la patronne lui avait dit son fait, sans haine et sans mépris, comme la chose la plus naturelle du monde. Elle n’était qu’une Italienne, une immigrée venant voler le travail et le pain des Français et, si elle tenait à garder sa place, ce n’était que justice qu’elle fut taillable et corvéable à merci. Giuseppina n’avait pas répondu. Puisque Dieu lui avait donné ces cartes, quand bien même étaient-elles mauvaises, il ne lui restait plus qu’à les jouer. Ses enfants, peut-être, se bâtiraient une vie meilleure, si elle acceptait de souffrir pour eux. Ses enfants ou, plus sûrement, les enfants de ses enfants.
À l’hiver 1868, une porte avait semblé s’ouvrir sur le quotidien de la veuve. Une lointaine cousine issue de son village natal, Caraglio, avait croisé sa route sur le cours Mirabeau, lors de la procession mariale de l’Immaculée Conception. Cette parente possédait une sœur, Francesca, qui avait poussé le voyage depuis l’Italie jusqu’à Paris afin de s’y établir. Sur la butte Montmartre, elle avait ouvert une petite gargote pour les ouvriers du bâtiment qui, contre une pièce ou deux, pouvaient s’offrir une chopine de vin et une assiette de ragoût trempé de pain bis. Avec les travaux incessants décidés par le baron Haussmann, Paris était devenu un immense chantier, les manœuvres et les gâcheurs de plâtre avaient afflué de l’Europe entière et l’affaire de Francesca s’était agrandie en conséquence. Elle avait alors eu besoin de bras. Giuseppina n’avait pas hésité une seconde. La semaine suivante, Clara partait pour la capitale avec, en poche, quelques mots de recommandation et l’adresse du caboulot – au Tabouret percé – griffonnés sur un bout de papier. Au moment de quitter la cité du Roy René, les derniers conseils maternels avaient sonné à ses oreilles: il lui fallait se méfier des hommes qui étaient tous des porcs. Seul Dieu pouvait la sauver des flammes de l’enfer. Et, si cette Francesca acceptait de l’embaucher, sa reconnaissance se devrait d’être éternelle.
« Ma pauvre maman... »
Dans les gémissements des taulardes ne parvenant pas à trouver le sommeil, au bord de la suffocation à cause des odeurs fortes, animales, produites par les corps trempés de transpiration et de crasse, Clara ouvrit les yeux sur la nuit, tout juste trouée par un quinquet à huile qui grésillait, à l’autre bout du dortoir. Elle se revit en train de poser son sabot sur le marchepied de la voiture. Elle n’était alors qu’un moineau, une mésange. Toute de nerfs et d’os, avec une chevelure abondante d’un noir de jais et de grands yeux charbonneux. Clara n’était pas ce que l’on pouvait appeler une belle fille, non. Elle faisait plutôt songer à une ombre, une rescapée de naufrage, tant ses joues étaient creusées, ses lèvres amères, ses membres grêles.
Lorsque Francesca, dans le petit matin de
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Tant que le Français a de quoi se remplir le ventre et qu'il ne claque pas trop des dents durant l'hiver, tant qu'il croit que le gouvernement est à peu près honnête, il se moque bien de ce qui peut arriver à son voisin. Alors que des repris de justice aillent crever dans une colonie qui se trouve à des milliers de kilomètres de Paris, qu'est-ce que vous voulez que ça lui fasse ?
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Vue du ciel, Saint-Laurent-du-Maroni faisait tout pour se donner une allure de ville métropole.Créée de toutes pièces en 1858 par le gouverneur Laurent Baudin, la cité ne comptait encore, en 1872, que quelques centaines d'habitants, tous liés par le grand projet mis en place sous le Second Empire : débarrasser la métropole de ses indésirables, que ceux-ci fussent prisonniers politiques, de droit commun ou simples récidivistes.Une expérience similaire avait été prise en exemple. Pour nettoyer Londres de ce que l'Angleterre qualifiait de rebuts de sa société, la Couronne britannique avait porté son dévolu sur l'Australie, terre coloniale. Là-bas, dans le lieu-dit de Botany Bay, elle avait fondé une colonie pénitentiaire et l'avait emplie jusqu'à la gueule d'individus en rupture de ban. Ce faisant, elle avait vidé de son mauvais sang les quartiers infectés de sa capitale, tout en fournissant à sa terre du bout du monde les bras des hommes et les ventres des femmes. Sous la surveillance de l'armée, et avec la bénédiction urbi et orbi de l'Église, les prisonniers pouvaient ainsi, tout à la fois, suivre un hypothétique chemin menant à la rédemption, et peupler à moindre coût ce territoire immense auprès duquel la perfide Albion faisait figure de simple confetti.
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