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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Comment vivent les domestiques aujourd'hui ? Dans notre imaginaire, les bonnes en tenue noire et petit tablier blanc, ainsi que les majordomes en queue de pie portant un plateau d'une seule main, semblent appartenir au passé. Les grandes richesses continuent pourtant d'avoir du personnel de maison, et ce livre, entre reportage et essai sociologique, nous dévoile ce qui se passe dans ces grandes maisons inaccessibles.

La première chose qui frappe, c'est le sentiment de reconnaissance des domestiques envers leurs patrons : vivre dans des lieux inaccessibles à leur classe sociale, apprendre à leur contact (les codes sociaux, le « bon goût », gérer son argent, …). L'identification aux patrons est forte : on remarque dans les discours des « nous » qui incluent les riches et leurs domestiques, contre le reste de la société moins fortunée. Que ce soient chez les jeunes diplômés (car oui, désormais on peut être BAC+5 et servir les grandes fortunes) ou chez les immigrés qui parviennent à se faire embaucher, le discours est le même : « quelle chance ! » d'avoir un bon salaire, le logement et le repas offert, et des petits cadeaux à la pelle. du côté des patrons, même discours : « ils font partie de la famille » ou « je les considère comme mes enfants ». A priori donc, c'est du gagnant-gagnant.

Cette belle vitrine se fissure pourtant au fur et à mesure du récit. « Faire partie de la famille », ce n'est en fait pas le bon plan. Car être logé, nourri et recevoir des cadeaux, ce n'est pas la même chose que percevoir seulement un salaire : on entre dans une logique de don et contre-don, et le domestique doit « rendre la pareille » avec un dévouement sans borne. Après tout, quand on aide un ami à déménager, on ne négocie pas des pauses régulières et un strict respect des règles de sécurité. Et la relation ici est profondément asymétrique : si l'employé se sent très chanceux, redevable et n'ose rien réclamer, l'employeur n'hésite pas à changer de domestique au premier relâchement.

D'autres pratiques sont très déshumanisantes. J'ai été assez frappé par le racisme assumé des riches : « les noires sont costaudes et travaillent beaucoup », « les arabes cuisinent bien mais sentent mauvais », « les asiatiques sont fourbes ». On renomme aussi les nouveaux employés avec les prénoms des précédents, pour ne pas devoir se fatiguer à les apprendre. On remarque aussi un profond isolement social des domestiques : avec quelques heures de sommeil par nuit et un seul jour de congé par mois, difficile de tisser ou d'entretenir des liens. L'employeur devient donc effectivement la seule « famille » qu'ils leur restent, car les relations deviennent impossibles avec le monde extérieur.

Pourquoi ces domestiques restent-ils donc à leur service ? L'effet « cage dorée » est très marquant. En partant, ces personnes quitteraient un emploi dur, abusif mais bien payé pour un emploi dur, abusif et mal payé. Les contrats de travail sont généralement faits pour être payé un maximum au noir, ce qui signifie un droit au chômage presque nul et une retraite ridicule. Les personnes immigrées ne sont pas certaines de pouvoir rester dans le pays si elles perdent leur travail. Certains employés viennent des gros chantiers ou de la prostitution de rue : faire le ménage et supporter des caprices peut sembler un sort plus doux en comparaison.

Si on avait l'impression d'un double jeu de dupes au départ (certains domestiques semblent penser « les avoir » en jouant le rôle qu'ils attendaient d'eux), on constate que comme toujours dans ces situations, les riches s'en sortent mieux que les pauvres.
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Aujourd'hui je vais évoquer Servir les riches, essai sociologique décapant d'Alizée Delpierre sous-titré Les domestiques chez les grandes fortunes. Cette enquête sociologique du quotidien est une mine d'informations et permet par le biais de cette approche théorique de pénétrer des mondes sociaux méconnus. Cet essai explore, de manière bien différente et par l'unique prisme de la domesticité, le champ de recherche qui a occupé Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot pendant de nombreuses années.
Servir les riches est une plongée dans le milieu de l'aristocratie et des nouveaux riches. le terrain de recherche d'Alizée Delpierre (principalement en France avec un crochet en Afrique du Sud) est celui de cette frange ultra-riche de la population, dominante (économiquement) qui a les moyens de payer de nombreux employés pour effectuer les tâches domestiques qu'ils délèguent (ménage, courses, éducation des enfants, entretien du jardin ou de la piscine, organisation de l'emploi du temps et des réceptions, confection des repas, etc.). Il s'agit à la fois des majordomes, des gouvernantes, des lingères, des chauffeurs, des nannys et autres cuisinières. Celles dont il est question ici, car ce sont principalement des femmes, sont au service continu de leurs richissimes patrons. La plupart d'entre-elles vivent à proximité ou sur place et semblent taillables et corvéables à merci ; elles n'ont pas d'horaires et travaillent souvent plus de douze heures par jour. La sociologue a profité d'une expérience personnelle au service d'une famille (garde d'enfants) pour réaliser des observations in situ. Elle a également conduit de nombreux entretiens avec d'une part des domestiques et de l'autre des patrons. Elle rapporte assez peu de verbatim mais reconstruit au fil des chapitres les données qu'elle a compilées ou observées. Cette enquête est passionnante et malgré la nécessaire anonymisation des protagonistes le lecteur est troublé et se demande parfois de qui il est question. Les témoignages sont souvent édifiants et permettent de proposer une typologie des domestiques et de leurs tâches. La question de la rémunération est au coeur de la recherche. Force est de constater que si certaines s'en sortent honorablement, pour la plupart les conditions de travail sont exigeantes et éprouvantes et une partie de la rémunération n'est pas déclarée. Tous les domestiques n'ont pas de contrat de travail ! Les patrons apparaissent comme hors sol, peu scrupuleux des règles et se positionnant au-dessus des lois. D'ailleurs l'inspection du travail ne couvre pas ce domaine de la domesticité, ils peuvent donc dormir tranquilles. Les relations entre patrons et domestiques sont bien documentées, le tableau n'est pas toujours réjouissant. Un mépris de classe est souvent lisible, les employeurs n'hésitent pas à se débarrasser de leur personnel sans préavis, les abus et violences existent. Sans évoquer les extravagantes demandes (cet homme contraint de se travestir en femme par exemple). du côté des domestiques, force est d'être surpris par leur attitude et discours parfois paradoxaux : les patrons sont souvent considérés comme leur famille et les serviteurs affichent un dévouement et une serviabilité assez impressionnants, nimbé d'un respect lié au sentiment grâce à cet emploi d'avoir réussi dans la vie. Il existe une part de rêve liée à ces professions qui permettent de côtoyer le luxe et la réussite sociale par l'intermédiaire d'autrui.
Servir les riches est un essai qui montre bien le miroir aux alouettes que constitue pour certains l'ambition de travailler au service des très riches. Être domestique est souvent considéré comme une forme d'ascension sociale et n'est étrangement pas le domaine réservé de personnes immigrées sans diplôme ni qualification : bien entendu il y en a mais la sociologie des domestiques est beaucoup plus variée que ce stéréotype.
Voilà, je vous ai donc parlé de Servir les riches d'Alizée Delpierre paru aux éditions La Découverte.

Lien : http://culture-tout-azimut.o..
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L'étude sociologique livrée dans ce livre est l'aboutissement d'une enquête menée par l'auteure avec la rigueur nécessaire à cette tâche de recherche. Mais l'auteure a su rédiger avec de tels filtres que la lecture est très agréable et bien loin d'un ouvrage universitaire.
Le sujet étudié est les serviteurs de la bourgeoisie et des ultras-riches mais on peut aussi y voir en creux de nombreux aspects de la vie de la grande bourgeoisie. L'auteure su gagner la confiance des uns et des autres et a ainsi recueilli des paroles sincères et sans retenue. J'ai été ému par la solitude de ces serviteurs entièrement consacrés à leurs patrons, finalement dindons de cette farce sociale. J'ai été choqué par ces aristocrates finalement près de leurs sous, payant mal et dans la limite des avantages fiscaux pouvant être tiré de la situation. Nos ultras riches se vantent de travailler beaucoup, c'est vrai mais toute leur vie est par ailleurs prise en charge. Finalement, en terme d'activité , la journée d'une personne gérant l'entièreté de son quotidien peut être plus longue et sa charge mentale toujours plus conséquente. Certaines paroles bourgeoises font montre d'un racisme décomplexé absolument ahurissant. Il est heureux que les employés sachent jouer de leurs compétences acquises pour progresser en poste et en salaire en changeant d'employeur. Néanmoins, je n'ai vu aucun constat réellement positif d'une vie passée au service des riches dans ce livre.
Toutes ces appréciations viennent de ma lecture. L'auteure, elle, constante dans sa rigueur universitaire ne porte aucun jugement alors que l'émotion est forte devant certaines situations que je préfère laisser découvrir.
Je n'imaginais pas certains comportements encore possibles de nos jours et à quel point, à l'abri des ses hauts murs, notre bourgeoisie peut être méprisable. Quel naïf je fait.
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Ça ressemblait pas à ça Downtown Abbey...
"Servir les riches" est une enquête sociologique sidérante dans le monde des grandes fortunes. La chercheuse y démontre la violence sociale, raciale et économique dans le rapport employeur-employée (oui au féminin vu que la majorité de la domesticité est féminine) et plus largement la violence systémique de notre société. Si une part de moi rêve tout de même de ne pas me demander "Mais p*tain quand aurais-je 2h cette semaine pour nettoyer l'appartement" et d'avoir un Alfred, j'avoue que j'ai été surprise et même choquée par les différents témoignages...
J'espère qu'Alizée Delpierre travaillera également sur ceux et celles qu'elle évoque dans sa conclusion : livreurs, titres-services,... En attendant, lisez ce livre et repensez votre rapport au travail et au domicile.
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Ce livre est très instructif sur la domesticité, tant du point de vue des employeurs (des aristocrates et des multimillionnaires), que des employés.
J'y ai appris les codes de ces deux classes sociales, les règles avouées ou inavouées qui président aux rapports de travail, les souhaits exprimés ou cachés des domestiques quant à leur ascension sociale, et leur capacité à s'adapter à un monde qui à priori leur est étranger.
Au-delà des nombreuses informations que nous donne l'autrice, ce livre regorge de petits traits d'humour qui le rendent d'autant plus attractif.
Ce livre nous permet de découvrir deux mondes qui semblent s'opposer, mais qui, en réalité, s'accommodent l'un de l'autre, par nécessité.
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Enquête sociologique passionnante portant sur la condition de domestiques chez les grandes fortunes. A la faveur de son cursus universitaire et de cette publication, Alizée Delpierre se fait embaucher par une famille plus qu'aisée. Elle y complète ses observations de terrain par de nombreux recueils de témoignages passés au tamis de plusieurs données chiffrées.
Derrière les façades d'immeubles cossus parisiens, de villas méditerranéennes ou de luxueux chalets alpins se dissimulent des relations aussi intenses que complexes entre des gouvernants et des gouvernés. A la fois intendants, cuisiniers ou chauffeurs, des centaines d'hommes et de femmes de basse condition partagent la vie quotidienne et l'intimité des plus riches. Entre dépendance et complicité, séduction et répulsion, ces liens de domesticité renvoient également à des questions de confiance en autrui, de possibilité d'ascension sociale qui ne sont parfois que l'autre face de la soumission et d'une solitude sans nom.
Les nombreux entretiens avec les deux parties donnent une perspective étourdissante, souvent troublante, sur cette réalité singulière.
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🌺Servir les riches🌺 d'Alizée Delpierre
- 187 pages. - 20,00€

L'auteure, sociologue s'est invitée derrière les façades de magnifiques immeubles parisiens.

Elle a rencontré des employeurs mais aussi des bonnes à tout faire, jardinier, Nanny…

Ce personnel est invisible mais présent quotidiennement au service des grandes fortunes.

Peu de congés, 1 jour par semaine tout au plus, logé par l'employeur très souvent pour être sur place le plus rapidement possible… il doit être disponible et travaille parfois/souvent jusqu'à 12h par jour.

Certes les bonnes âmes leur versent un salaire au-dessus du SMIC, leur offrent les vêtements ou sacs de marques qu'ils ne mettent plus.

« La perle rare, c'est une domestique qui connaît tout de ses patrons : leur emploi du temps, leurs habitudes, ce qu'ils adorent et ce qu'ils détestent. La domestique idéale sait satisfaire immédiatement leurs désirs même les plus fous, sait anticiper leurs attentes avant même qu'ils ne les formulent…être souriante, discrète et silencieuse, mais toujours présente. »

« La douleur et la fatigue sont difficiles à verbaliser pour les domestiques. Se plaindre est interdit quand on doit sans cesse « courir après le temps ».

« Moi je ne recrute plus de Français, je préfère les Asiatiques ou les gens de l'Est, ils font moins d'histoires, ils ne revendiquent pas à tout bout de champ que vous les traitez mal. »

Les domestiques sont souvent payés au noir en espèces.

L'auteure met en avant les dérives des aristocrates, leurs habitudes, leurs besoins d'être servis et d'avoir ce qu'ils veulent à la minute
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