Pour luky, signé
Aurélien Delsaux chez Noir sur Blanc (2020), est une réussite. Incontestablement, l'auteur connait le public des jeunes qu'il met en scène. Luky, Abdoul et Diego, trois adolescents d'une petite ville de province, ne savent pas encore construire leurs avenirs alors que déjà se détricotent les certitudes et les rêves d'une enfance de banlieue qui se meurent, aussi bien l'enfance que la banlieue.
Ce sujet, maintes fois traité dans la littérature, sort du lot par le style inventif de l'auteur qui a su parler et écrire comme ces ados, sans jamais tomber dans la caricature et le dénigrement. A côté de ces jeunes qui se mêlent volontiers les pinceaux dans les règles grammaticales et la concordance des temps,
Aurélien Delsaux place sur leur route quelques adultes, enseignants, qui par amour du métier et empathie avec ces jeunes, promesses d'avenir, portent un regard positif sur eux et cherchent à les aider à se sortir de la nasse où ils se sentent pris.
Le lecteur, amoureux du respect de la langue et de ses règles, oubli très vite ces écarts de langage, ces pieds dans le tapis des règles grammaticales ou les outrages à la concordance des temps. Très vite, ce phrasé n'appelle plus en lui la sanction immédiate d'un stylo à bille rouge stigmatisant toutes faiblesses.
Très vite aussi, le lecteur souhaite que ces jeunes s'en sortent, qu'ils quittent enfin leur adolescence d'albatros cloué au sol et qu'ils prennent, enfin, leur envol vers une vraie vie, la leur, celle de demain. Mais un des drames de ce récit est là. Dans notre monde bien-pensant, un jeune doit – vous avez lu DOIT ! – avoir un projet d'avenir ! Et nos conseillers en orientation ne se privent pas, parfois d'exiger ce dû sans même se rendre compte qu'il faut des moyens, un espace, une piste d'envol qui puisse se dessiner pour envisager un envol vers demain. Luky est de ceux qui n'ont pas encore eu accès à la piste, ou ne l'ont pas encore compris. Abdoul est déjà plus loin dans son écolage au décollage. Quant à Diego, il semble perdu et donc il frime davantage que les autres... "
Pour Luky" est aussi ce cruel rappel que, même sous un regard bienveillant, il n'est facile pour personne de se construire et du sortir d'un milieu apparemment sans avenir.
Mais ce roman, loin d'être noir, morbide, sinistre est aussi un livre de tendresse. Celle de Luky pour son Pépé mort qu'il n'a pu toucher. Celle pour sa capacité à rêver, à se téléporter dans un monde plus accueillant.
Et puis, il y a cette tendresse, sans mièvrerie, de l'enseignant, M. Lesélieux qui pousse Abdoul à poursuivre des études littéraires. C'est lui qui écrit ce livre. Lui, Abdoul qui a longuement hésité à quitter ses copains pour les Lettres… mais qui sait qu'il doit le dire à ses copains, à Luky, au moins.
Un livre curieux, un livre qui touche. Un livre qui pose de vraies questions et qui expose tous les Luky, Abdoul ou Diego à nos regards qui pourraient être davantage bienveillants. Un livre qui parle beaucoup à l'enseignant que j'ai essayé d'être… Merci aux Editions Noir sur blanc et à Babelio pour la belle découverte de ce titre «
Pour luky ».
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