Nous avons fait allusion plus haut, aux débuts de Delacroix dans le domaine de l'estampe, en 1814 pour l'eau-forte, en 1817 pour la lithographie : l'on doit se rappeler que Delacroix n'avait que 19 ans lorsqu'il prit le crayon lithographique, certainement poussé par l'attrait d'un procédé naissant, épousé par tous les artistes : Ingres, C. et H. Vernet, Géricault, Gros, Guérin, Denon, Charlet ; en réalité c'est en 1825 seulement qu'il s'affirme un maître, avec une lithographie qui restera une des plus caractéristiques de son oeuvre, Macbeth consultant les Sorcières ; le mouvement, l'effet, le caractère, l'imprévu de la facture, mélange de crayon et de grattoir, tout se trouve réuni dans cette fort belle planche.
Nous nous étions habitués à l'entendre parler de sa vieillesse anticipée. Dès l'âge de trente ans, il se disait déjà affaibli et usé. Il s'entourait physiquement de mille précautions hygiéniques, et moralement il affectait quelques formules sceptiques, qui semblaient indiquer un certain dédain, un certain dégoût de la vie ; mais en réalité, nul n'avait un esprit plus juste, plus alerte et plus actif, nul ne portait un cœur plus ouvert à l'amitié et plus fidèle aux souvenirs de jeunesse ; c'était une âme sensible et tendre, doublée d'une imagination très-vive, et tout cela tempéré par une raison qui brochait sur tous ces sentiments et qui se les assimilait avec constance et avec délices.
Décoré en 1831, nommé officier de la Légion d'honneur en 1846 et commandeur du même ordre en 1855, à la suite de l'Exposition Universelle, ou il remporta un véritable triomphe avec l'exposition de 35 de ses toiles, élu enfin Membre de l'Institut en 1857, après des échecs réitérés, Eugène Delacroix traina à la fin de sa vie une existence maladive et isolée ; en 1863, se trouvant à Champrosay, il tombait plus gravement malade et ramené à Paris, à son atelier de la rue de Furstenberg, le 13 août 1863, à 7 h. du matin, il mourait n'ayant à son chevet que sa gouvernante Jenny Léguillon.
C'est en Italie, où il resta une première fois jusqu'en 1824, que Ingres grava son unique eau-forte et exécuta quatre des rares lithographies qu'il ait faites. L'eau-forte, insuffisamment connue en raison de sa rareté, est une des belles œuvres du XIXe siècle, presque une exception à la date où elle fut tracée : 1816. En présence de cette oeuvre, traitée avec une sérénité faite de savoir, de distinction et de charme, on se prend à regretter que Ingres à l'exemple de Van Dyck ou de Delacroix, n'ait pas plus souvent manié la pointe, ou à son défaut, le crayon lithographique.
Ingres est, avec Delacroix, l'une des plus grandes gloires du XIXe siècle; tandis que Delacroix évoque à notre esprit la couleur et la passion, Ingres nous personnifie le dessin et la forme dans l'acception la plus pure ; jadis rivaux, pour ne pas écrire ennemis, Ingres et Delacroix résument aujourd'hui la dualité de l'art : la couleur, le dessin. C'est pourquoi nous les avons réunis ici, sans aucune préoccupation de contraste, comme le pourrait faire croire de prime abord, le rapprochement de leurs noms.