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Critique de Nastasia-B


Milan Kundera énonce, dans L'Art du roman : « Vivant Denon, l'un des plus grands stylistes français. » Moi, je tique un brin : « Quoi ? Vivant Denon ? le plus grand styliste ? Jamais entendu parler ? Comment ça se fait ? »

Pourtant ça se fait… Première raison, Dominique Vivant Denon n'a pas écrit beaucoup, et moins encore dans le registre de la fiction (il est surtout connu pour ses dessins et en tant qu'administrateur du Louvre). Pour ainsi dire, dans ce domaine, on lui doit une nouvelle, intitulée Point de lendemain, et c'est tout.

Comment quelqu'un, qui n'a écrit, en tout et pour tout, qu'une nouvelle — qui plus est, une nouvelle libertine, genre qu'on peut qualifier de mineur dans la littérature (un peu comme le péplum au cinéma) —, une malheureuse nouvelle, donc, comment un tel auteur pourrait-il être estampillé du sobriquet flatteur de « plus grand styliste français » ?

Eh bien, au risque de vous surprendre, après avoir lu cette nouvelle, je partage totalement le jugement de Milan Kundera : c'est un français exceptionnel, un français comme on le rêve, mais surtout, une musicalité, une syntaxe, un emploi de la ponctuation qui est un vrai bonheur. Sans oublier une ironie, un double fond sous chaque mot, une tenue, une profondeur (bon, là, je sens qu'on va me taxer de grivoiserie, certes, il y a un peu de ça), une pétillance dans le propos : j'adore !

Ce qui me frappe dans le style de Vivant Denon, c'est d'abord, la cadence, le rythme : vous lisez de la prose, et pourtant, vous jureriez parfois qu'il s'agit de poésie. Ensuite, il y a l'emploi — très novateur pour son temps (peut-être fut-ce le premier ?) — des points de suspension à répétition. On sait que ceci sera popularisé par Colette puis repris jusqu'à l'overdose et institué comme marque de fabrique par Céline. (Notons également qu'Emily Dickinson, quelques années après Vivant Denon, utilise abondamment le tiret, ce qui, en syntaxe anglosaxonne, correspond à du point de suspension.)

Je n'ai pas l'impression d'avoir lu auparavant dans l'histoire littéraire un usage comparable de cette marque de ponctuation. Il y a aussi l'épiphore, la répétition volontaire, euphonique, l'écho musical de certains mots, qui marquent le rythme, en plus des virgules. Là encore, c'est magnifique. (D. H. Lawrence reprendra ce principe dans son écriture.)

Donc, vous l'aurez compris, Point de lendemain, c'est d'abord et avant tout un style, incroyablement raffiné, ça, c'est acquis. Mais c'est aussi, la relation d'un épisode, c'est aussi remarquablement bien observé, ces relations sans lendemain, ces étreintes sexuelles d'un soir, ces parenthèses dans nos vies, ces bouffées de sensualité auxquelles nous nous adonnons, une ou deux fois dans nos vies de jeunes adultes (un peu plus, un peu moins, selon les personnes, un peu plus jeune ou un peu plus vieille, selon le caractère ou les opportunités).

C'est exactement ça, et là encore, comme c'est bien observé, comme c'est bien dit, comme il suscite ou ressuscite ces sentiments en nous. Bon, je vous avoue tout de même qu'à elle seule, Point de lendemain n'irait tout de même pas, selon mes critères, jusqu'aux cinq étoiles, car j'ai déjà lu des nouvelles plus marquantes, plus impressionnantes, mais quatre, sans hésitation.

Toutefois, ce livre est un recueil de deux nouvelles. L'autre est l'oeuvre de Jean-François de Bastide et s'intitule : La petite Maison. On y retrouve un thème commun, ouvertement libertin, mais un traitement plus conventionnel. le style est agréable mais, à mon goût, un peu trop chargé sur les descriptions, qui deviennent parfois pléthoriques.

Le propos est également plus commun : en gros, comment un aristo en met plein la vue à une aristo, au travers d'un pavillon somptueux, véritable déclencheur de désirs, dans le but clair et évident de la trousser sur des coussins de soie, entourés de naïades et de dorures en tout genre. La femme savait pourtant à quoi s'attendre, mais… c'est là tout le charme de la petite maison…

Cette nouvelle, selon moi, est nettement inférieure à la précédente, même si elle se lit sans déplaisir. Ma note finale de l'ouvrage est donc une combinaison de ces deux ressentis. En tout cas, un petit livre qui vaut le coup d'être lu : c'est très rapide à survoler, ça n'engage pas à grand-chose, on en retire, au pire de l'indifférence, au mieux, une belle émotion littéraire. D'ailleurs ceci n'est que mon avis sans lendemain, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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