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Critique de kuroineko


Une attirante couverture, avec au centre une hiératique beauté nippone tout droit sortie du Dit du Genji de Dame Murasaki Shikibu, le "Hi no maru" - soleil rougeoyant sur le drapeau national - en auréole derrière elle...
Un titre: le chemin des dieux... la transcription littérale des deux idéogrammes formant le terme "shintô"...
Il n'en fallait pas plus pour m'inciter à entamer cette lecture, sans passer par la case "résumé en 4ème de couverture".

Jean-Philippe Depotte nous entraîne dans un roman hors norme, à plusieurs titres. Au départ, avec l'appel au secours de Francis du Japon, à son ami Achille revenu en France 12 ans auparavant, on a l'impression  d'entamer une intrigue de type enquête privée plutôt que policière.
Revenu à Tokyo, Achille éprouve la nostalgie de ce pays qu'il a tant aimé tout en constatant les différences. Et notamment un "incident" mystérieux qui priverait l'archipel d'électricité. Et là le polar semble s'allier au thriller écologique. Après tout, la catastrophe du 11 mars 2011 et ses conséquences terribles sur les réacteurs nucléaires de Fukushima ne sont pas loin.
L'auteur joue ainsi de différents genres romanesques. Il plante son décor en prenant son temps. le cadre contextuel représente d'ailleurs à mes yeux la qualité principale de ce livre. Jean-Philippe Depotte connaît bien le Japon et la mentalité japonaise. Il sait aussi ce que cela signifie d'être un "gaijin" (un étranger) parmi ce peuple qui n'assimile pas facilement les ressortissants d'autres pays. Il donne à voir la société nipponne actuelle prise entre le conformisme social et des excentricités ahurissantes, une tradition séculaire très forte et une hypermodernité. Certains aspects qu'il amène, comme les nouvelles conceptions amoureuses semblent à peine croyances à nos yeux occidentaux : on peut être un jeune couple sans se toucher, sans relation sexuelle car trop compliqué à gérer. Et certains jeunes hommes de préférer s'amouracher de jeunes "idoles" préfabriquées par des boîtes de production, et collectionner figurines et posters de leur égérie. Ou s'identifier à des personnages de dessins animés ou de jeux vidéos en y mettant une passion et un sérieux inouïs. Mais vrai. Il suffit de lire les ouvrages de sociologie de Muriel Jolivet, professeur d'origine française à l'université Ste Sophie de Tokyo, pour s'en convaincre.
Achille se retrouve pris dans des événements qui le dépasse, rencontrant au passage une foule de personnages plus extraordinaires les uns que les autres. C'est au fil de ces rencontres et pérégrinations que l'auteur instille de façon subtile le surnaturel dans son récit. le passage ne se fait pas tout à trac mais le lecteur se sent conduit, avec Achille, dans un monde flottant où l'irréel devient réel. le shintô étant la religion originelle et fondatrice du Japon, la frontière si floue entre le monde profane et le monde sacré finit par sembler comme allant de soi. Plus qu'une religion, il s'agit plutôt d'un ensemble de croyance en une sacralité intrinsèque des éléments de la nature, avec leurs Kami (divinités) et tout un panel de créatures fantastiques que les Japonais regroupent sous le nom générique de yôkai.
C'est donc dans un Tokyo où les deux réalités se concentrent qu'on suit le développement de l'intrigue. le roman de Jean-Philippe Depotte nous renvoie avec plaisir aux folklore et grands mythes fondateurs de l'Empire du Soleil Levant.

Tous ces éléments offrent déjà un programme alléchant. Mais l'auteur va plus loin en abordant, même sans s'y appesantir, les concepts typiques de l'esthétisme japonais. Certains passages m'ont tout droit renvoyée à l'Éloge de l'ombre de Tanizaki, par exemple.
On y découvre également les mille Et une nuances et éloquences d'une civilisation qui a fait du vide une notion fondamentale. C'est dans les silences ou les intervalles que se glissent les choses les plus importantes.
Et enfin l'auteur propose, sous-jacente à son intrigue, une réflexion d'ordre philosophique sur la nature des êtres, sur celle du Japon, s'interrogeant (et le lecteur avec) sur l'impermanence et l'immuabilité, sur l'éphémère et l'éternité, etc.

Un roman très riche donc, et surprenant, à plus d'un point. D'où le terme de "hors-norme" que j'ai utilisé plus haut. Un ouvrage qui divertit, passionne, augmente nos connaissances et donne à réfléchir... Pourquoi hésiter plus longtemps?

Sur le procédé narratif, Jean-Philippe Depotte recourt à un rythme plutôt lent, ce qui pourrait décourager les amateurs de tempo endiablé.
Tout comme les termes et noms propres relatifs aux mythes et légendes peuvent décontenancer. En dépit de cela, l'aventure en vaut la peine et je le recommande vivement à tous les amoureux des films de Miyazaki Hayao ou de séries de japanimation comme Les 12 Royaumes. Pour les plus curieux, avides d'en connaître un peu plus sur l'univers fantastique des yôkai, je conseille le Dictionnaire des yôkai en 2 volumes de Mizuki Shigeru. Je me suis amusée pendant ma lecture à y rechercher les créatures présentées dans le roman pour en apprendre un peu plus. Ah la curiosité, quelle remarquable vertu!
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