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Critique de Chri


Etre vu nu par un chat,
suffit à plonger notre conférencier dans l'embarras.
Il se dit que « penser commence peut-être là ». Jacques Derrida exprime ici ses pensées, mais d'abord la honte d'être vu nu devant un chat,
puis la honte d'avoir honte.
Ami Spinoza, à l'aide ! d'où viennent ces sornettes du bien et du mal, la honte, et ces projections anthropomorphiques,
où l'on prête à Dieu ou à l'animal ce qu'il veut ou qu'il ne veut pas ?
Tous les textes canonisés, visités dans ce livre, sont très bornés,
et ce ne sont pas seulement les mythologies grecques ou bibliques,
mais aussi les écrits philosophiques de Descartes, Kant, Lévinas, Lacan, Heiddeger, etc…
La mission de Derrida est la déconstruction, exigeante exégèse,
de cette tradition-filiation, discours de la domination,
qui répète inlassablement, je suis ceci, je suis cela, mais je ne suis pas un animal.

* Descartes, le maître de l'indubitable (je pense donc je suis), juge que « les animaux sont en vérité, eux, des automates, des automates en chair et en os. Et pourquoi donc ? Parce qu'ils ressemblent à des automates ressemblant à l'homme. »
* Kant, homme des lumières, celui qui déclare son « horreur du goût barbare », insiste encore : « La guerre intérieure ou extérieure, dans notre espèce, a beau être un grand mal, elle est pourtant le mobile (Triebfeder : l'excitant de la pulsion) qui fait passer de l'état sauvage de la nature à l'état social. ». L'auteur souligne des accents de cruauté dans le discours de Kant quand il dit la nécessité impérative de sacrifier la sensibilité à la raison morale.
* Emmanuel Lévinas, obsédé «par l'autre et son altérité infinie», est bien vite embarrassé avec l'animal (dans cet extrait interview) :
- J.Llewelyn : « L'animal a-t-il un visage ?...Peut-on lire "tu ne tueras point" dans les yeux de l'animal ? »
- Lévinas : « Je ne peux pas dire à quel moment vous avez [ou on a] le droit d'être appelé "visage"… Je ne peux pas répondre à cette question.»
* Lacan, logicien de l'inconscient, parvient à l'hypothèse, que l'animal n'est pas capable de la feinte de la feinte. Il reste alors aux scientifiques à chercher et peut-être déjà à répondre à cette hypothèse hasardeuse : « l'animal ne fait pas de traces dont la tromperie consisterait à se faire prendre pour fausses, étant les vraies, c'est-à-dire celles qui donneraient la bonne piste ».
* Heiddeger, voulant dépasser la dialectique mécanisme/vitalisme, se trouve lui-même pris de vertige dans « sa neutralisation de la vie » (son Dasein). Pour lui, « l'animal ne meurt pas, il crève ».

Dans toute cette exégèse se retrouve le motif de l'animal qui ne sait pas répondre, dont le langage est « fixé ou figé dans la mécanicité de sa programmation », et enfin qui est privé de quelque chose qui ne se laisse pas vraiment définir.
Ce qui peut paraître incroyable c'est que le langage puisse être ce point ambigüe, qu'un auteur comme Kant soit loué ailleurs pour son pacifisme, par Russell (histoire de la philosophie occidentale), et montré ici sous le signe de la cruauté par Derrida et d'autres avec lui.
Il faudrait surtout que les philosophes intègrent les faits scientifiques de l'éthologie, l'étude des comportements des animaux dans leur milieu naturel, en restituant la diversité entre le chat et « quelque aveugle protozoaire ». Mais est-ce que Derrida lui-même a raison de considérer son chat comme un animal sauvage alors qu'il continue à le nourrir, et en conséquence sait-il que son chat fait partie du problème ? https://www.sciencesetavenir.fr/animaux/chats/les-chats-responsables-d-un-desastre-ecologique_105142
Car le problème de la violence faite aux animaux est là et se creuse : perte de la biodiversité, élevage intensif, expérimentation génétique…
Car « l'animal que donc je suis » peut aussi être juif, être femme,… et le discours dominant est toujours discriminant. Derrida lui-même ne va-t-il un peu vite en déclarant que « la violence faite à l'animal est sinon d'essence du moins à prédominance mâle » ?
Quant au droit des animaux, il faudrait lui donner les moyens de s'appliquer concrètement, « quitte à repenser jusqu'à l'idée même du droit, de l'histoire et du concept d'un droit qui jusqu'ici, dans sa constitution même, suppose l'assujettissement irrespectueux de l'animal ».
Tout comme Lévinas avait laissé la possibilité d'une « analyse plus spécifique », Derrida n'a pu livrer que cette « exploration à la hâte » de l'être animal, mais la tentative est courageuse.
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