De nuit, on avait l'impression de traverser un naufrage. Les vieux se terraient dans les villages, recroquevillés sur leur rancoeur. Les jeunes se tassaient dans les cités-dortoirs ou des pavillons de carton-pâte, abrutis par l'opium cathodique.
Les mots jaillissaient sous sa langue avec facilité, méchants parfois, précis toujours.Ses potes lui trouvèrent vite un surnom "Uzi", en référence au pistolet-mitrailleur israélien. Un débit en rafale,rapide, mordant, aux allures de mitraille. Lorsqu'il tirait, personne n'en ressortait indemne. Ses diatribes percutaient les consciences, ses réparties déstabilisaient les plus retors.
Un terminal pétrolier tel une sauterelle géante.
Ces fantômes semblaient débarquer de nulle part, surgis d'un néant de soleil et de terre tels des icône de glaise.
L'enfant avait poussé sur ce terreau d'aigreur, mal dans sa peau, agressif, comme un chiendent de revanche. Rien ne l'apaisait. Parents, éducateurs, conseillers en tout genre, personne n'avait pu l'infléchir. Violent, hostile, colérique, il semblait jailli d'un hoquet de haine.
On n'a plus rien en Algérie, On est tous nés ici. Dans nos générations, personne ne sait à quoi ressemble le bled. Le terreau des Beurs, c'est ces cages de merde dans lesquelles on a parqué nos rêves.
Des destins fracassés en quelques heures, par pure connerie. Parce que les mômes se maquillaient, portaient des jupes, parce qu'elles marchaient la tête haute, inconscientes, parquées par leurs bourreaux dans une prison de préjugés.
Il avait conjugué ses racines au présent, jugulé la dichotomie de son être par l'acceptation des contraires.
Riad Kellal faisait partie des rares officiers de police originaire du Maghreb. Un parcours exemplaire, un modèle d'intégration. En réalité une situation inconfortable.
Pour la corporation une brebis galeuse.
Pour sa communauté un renégat.
La salle transpirait la haine.