Citations sur Au bonheur des morts (10)
Une femme du village de Mansfield, en Angleterre, avait promis à une amie proche alors très malade, qu'elle déposerait dans son cercueil un paquet de lettres autrefois écrites par son fils défunt. Dans le désarroi du chagrin, elle a oublié. Elle resta désemparée jusqu'à ce que, peu après, le facteur du même village décède. Elle alla voir la famille du facteur et lui demanda la permission de déposer les lettres dans le cercueil de ce dernier. Elle savait qu'elle pouvait avoir confiance : il serait aussi diligent comme facteur dans l'autre monde qu'il l'avait été dans celui-ci.
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La première question que posent les disparus ne s’inscrit dès lors pas dans le temps mais dans l’espace. C’est vrai que la question du temps est souvent évoquée – « on ne le verra plus jamais », « il repose en paix pour l’éternité », « il ne sera plus jamais à nos côtés » – et que la conjugaison au passé semble devoir s’imposer. Mais cette question se pose beaucoup moins souvent, et avec beaucoup moins d’hésitation que celle de savoir où sont les morts17
J'ai lu des romans que je n'aurais jamais lus, regardé des séries qui me seraient restées étrangères, vu des films qui n'auraient jamais attiré mon attention, fait des démarches que j'aurais estimées infécondes.
... les morts « font de la place » en permettant à d’autres vivants de trouver la leur. Il faut, dit-il, rendre à cette idée son sens le plus actif : les morts font de la place au sens où ils dessinent de nouveaux territoires. Non seulement les morts posent aux vivants des problèmes géographiques – situer des lieux, inventer des places –, mais ce sont, à la lettre, des géographes. Ils dessinent d’autres routes, d’autres chemins, d’autres frontières, d’autres espaces.
On n’a cessé au cours de notre histoire – et l’invention du Purgatoire, on le verra, n’en est qu’un épisode – de chercher un endroit où les loger, où les abriter, d’où peut continuer la conversation. Partout où les morts sont actifs, il y a la désignation d’un lieu. Les annonces mortuaires sont à cet égard exemplaires ; je n’en citerai que deux, glanées dans la nécrologie : "Si regarder en arrière te donne du chagrin et regarder en avant t’inspire de l’inquiétude, alors regarde à côté de toi : je serai toujours là" ; ou encore : "Ce n’est pas parce que je pars que je m’en vais."
"Ceux qui restent"...s'efforcent d'être à la hauteur de cette difficile épreuve que constitue celle de perdre quelqu'un --et d'apprendre à le retrouver.
Il m'a d'abord fallu comprendre que j'avais le droit d'être avec lui malgré sa mort et puis ma vie.
Ceux qui apprennent à entretenir les rapports avec leurs morts assument donc bien un travail qui n’a rien à voir avec le travail du deuil.
... où est-il ? Il faut situer le mort, c’est-à-dire lui « faire » une place. Le « ici » s’est vidé, il faut construire le « là ». Ceux qui apprennent à entretenir les rapports avec leurs morts assument donc bien un travail, qui n’a rien à voir avec le travail du deuil. Il faut trouver une place, de multiples manières, et dans la très grande diversité de significations que peut prendre le mot « place ».
...le projet de l'historien c'est justement d'historiciser, de montrer comment des conceptions, des relations, des consciences, des modes d'existence vont être favorisés ou nourris par certains contextes particuliers.