Citations sur Noces de chêne (18)
Maison de retraite: le sacre de l'hiver. Sacré veut dire séparé. Ces gens séparés du reste de la population vivante, désormais immiscibles, à la fois vénérables et épouvantables, on les appelle des résidents. (p. 51)
A l'inverse, la douleur de Taine est toute neuve. Et quand on souffre d'amour, on n'est pas morveux, ni graillonnant. (...)
Quand on meurt d'amour, les sanglots sont vrais, en provenance du cœur, et pas des bronches. (p.36)
Ton corps se meut en vertu d'un désir. Avec Maria, Taine n'attend rien, n'a besoin de rien et ne croit à rien. Il vit, tout simplement. Chaque seconde, chaque respiration, est une source d'euphorie constante. Avec Maria, Taine veut aller vers le meilleur. (p. 18)
Il y a des êtres à qui la vieillesse a donné, non pas une éternelle jeunesse, mais plutôt une souveraine liberté, un éclat de sentiment pur, fait pour jouir d'un moment de grâce entre la vie et la mort. Chez Taine, toutes les pièces de la machine se sont combinés en vue de l'amour et pour envoyer dans l'avenir un trait qui traverse les âges: Maria; (p.15)
Bref, on n'aime pas le gris, le terne, le jauni, le ranci. Bref, on n'aime pas ces vieux qui passent leur temps à mourir par petits morceaux. Alors, de peur que la vieillesse ne leur arrive par les yeux, ils ne lui parlent même pas du regard. Car regarder, ce serait encore avoir en sa garde. (p. 69)
Ce fut la même paralysie des images terriennes quand l'auxiliaire de vie ricanante les surprit, Maria et lui, s'embrassant. Elle hurla après eux comme on traite deux chiens qui copulent, comme si l'amour en eux n'était qu'une sécrétion corrompue et malsaine. Ce choc vint les ébranler jusqu'à l'égarement. Jamais ils n'osèrent reparler de l'œil courroucé de la jeune femme en blouse sur leur désir insensé et dégradant. Comble de perversité, elle leur avait conseillé de mettre un terme à cette liaison, ajoutant finement "sans lendemain", puisque l'amour octogénaire n'est qu'un parasite mensonger. L'écraser sans regret pour éviter l'enlisement dans une passion sans issue, à l'évidence mortelle à court terme. pourquoi gâcher une si belle fin de vie par des débordements, quand ils feraient mieux de cultiver la sérénité, chacun de son côté ? Quel plaisir peut-on trouver à une telle peau, à jouer à la bête à deux dos avec une vieille à deux dents ? Et que diraient leurs familles, si elles les voyaient ainsi se conduire en vieux cochons ?
Certains souvenirs auxquels des voix criardes sont attachées ont la force de faire taire les oiseaux (p. 74)
Parfois, les cheveux se salissent à peine. C'est qu'il existe chez les hommes, comme dans le règne des mousses et des lichens, des espèces qui ne changent pas à l'approche de l'hiver. (p.34)
Taine est passé par un trou de la haie, comme les chats. Il a quatre vingt-ans, l'âge d'un vieil éléphant, d'une jeune tortue, d'une maison ancienne, d'une église encore neuve, tout est relatif. (p. 39)
L'angoisse lui broie la langue. Un vieillard amoureux est un mendiant affamé. Un mendiant du désir couché sur un grabat d'épines. (p. 16)
Une très vieille personne, si elle n'est pas partie, doit demeurer sur la pointe des pieds, en catimini, faire déjà un peu la morte avant de bientôt l'être tout à fait, ne pas importuner de sa présence insistante les plus vivants qu'elle. Faites-vous invisibles. (p. 28)