AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Espace fumeur (73)

S’aventurer dehors supposait de vaincre une résistance glacée. À chaque inspiration, le froid s’enfonçait dans mes poumons et je recrachais une buée grise. Par ces matins de décembre, oui, je fumais avant d’avoir fumé. Il n’était bien entendu pas question, pour griller ma première cigarette, d’extraire mes deux mains de mes poches où elles achevaient de dormir. Alors, je n’en réveillais qu’une, elle devait se confronter au froid tandis que l’autre, ronronnant dans mon manteau, cessait presque de m’appartenir : elle finissait sa nuit dans son coin.
Commenter  J’apprécie          00
Mais il les sent, ses mains, excessives et stupides. Elles s’impatientent. Il faut les occuper. Les divertir, en un sens. Satisfaire leur appétit insatiable. Leur donner des trucs à prendre. Des machins à saisir. Des choses à tripoter. Mais nous sommes dans la rue et elles n’ont rien à faire. Elles attendent que les jambes fassent leur travail. Alors, le fumeur les aligne le long de son corps. Elles se ballottent comme deux petits paquets. Les paumes se tendent. Les doigts prennent la relève et se replient. La main tout entière ne tarde pas à se contracter d’angoisse.
Commenter  J’apprécie          00
On reconnaît un fumeur à ses mains. Car elles sont toujours des mains de trop. Quoi qu’elles fassent, elles dérangent. Où qu’elles soient, elles demeurent mal placées. Elles importunent avant de manier. Leur présence est fondamentalement de gêne. Ce ne sont pas des membres, ce sont des parasites.
Commenter  J’apprécie          00
La cigarette dont se délecte le fumeur au réveil est plus que sa prière du matin : elle est son sacrifice. Les communautés religieuses prennent la peine de se réunir à l’aube pour recevoir la lumière dans un accès de spiritualité ; par leur culte, elles remercient Dieu de leur avoir offert une journée de plus. Mais la prière du fumeur est une triste prière. Avant de s’engager machinalement dans sa journée, avec tout ce qu’elle comportera d’imprévus, il s’adonne, sans trop savoir pourquoi, à sa pratique quotidienne. Parfois, il se demande s’il ne pourrait pas changer ses habitudes et quitter son addiction, mais c’est plus fort que lui : la fumée monte au ciel, elle se sacrifie et il attend son tour.
Commenter  J’apprécie          00
Quelle est la pire chose qui puisse lui arriver ? Mourir d’autre chose que de la cigarette : écrasé par un camion, assassiné par un inconnu, pris au piège dans un incendie.
Commenter  J’apprécie          00
Ne prenons pas le fumeur par ses angoisses métaphysiques (car son addiction est, pour lui, une réponse à son appréhension de la mort), mais par son honneur des petites choses : la qualité de sa peau, le teint blafard qu’il risque d’adopter, le jaunissement de ses dents…
Commenter  J’apprécie          00
Indiquer « fumer tue » sur le front des paquets de tabac, c’est parler une langue étrangère aux dépendants, car la logique du fumeur n’est pas celle de la longue durée. Comment ce dernier pourrait-il considérer l’homme qu’il sera dans quarante ans et se soucier de lui ? Le fumeur, à force d’être indifférent à son propre sort, en devient égoïste : il poignarde le vieillard qui germe sous sa peau. La mort ne lui importe pas, car elle n’est pas la sienne mais celle du grand-père qu’il sera dans un lendemain obscur.
Commenter  J’apprécie          00
Et pour cause : la cigarette dit tout et son contraire. Avec elle, selon les idéologies, la sexualité s’affirme ou s’éteint, l’intellect s’affaisse ou se redresse, les corps s’exaltent ou se replient. La cigarette fut la girouette de l’Europe, tournant sans cesse dans le sens du vent de l’histoire, reflétant les imaginaires successifs, contrastés et parfois incohérents de notre civilisation.
Commenter  J’apprécie          00
La cigarette, nous commençons à le voir, n’est pas un objet translucide. Elle a toujours été déjà fumée par d’autres avant que je ne la porte à mes lèvres. Et ces « autres » ont pu imprimer en elle une part des angoisses ou des haines dont ils étaient traversés.
Commenter  J’apprécie          00
Fumer après l’amour, c’est reconnaître implicitement qu’il est impossible de faire cohabiter la volupté des corps avec la masturbation des poumons. Le tabac ne sublime pas notre sexualité : il la rappelle à la culture.
Commenter  J’apprécie          00






    Lecteurs (46) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Retrouvez le bon adjectif dans le titre - (5 - essais )

    Roland Barthes : "Fragments d'un discours **** "

    amoureux
    positiviste
    philosophique

    20 questions
    861 lecteurs ont répondu
    Thèmes : essai , essai de société , essai philosophique , essai documentCréer un quiz sur ce livre

    {* *}