Impossible solitude (1865)
Ayant l'ouïe fine —
J'entendais les feuilles s'entretenir —
Et les fourrés — carillonner —
Où donc trouver un peu d'intimité
Loin des vigies de la nature ?
Je pensais pouvoir me cacher
Dans une grotte — mais les parois
Se mirent à parler —
La création — cassure énorme —
Se refusait à me cacher —
p.136
L'espoir (1862)
L'espoir est cette chose ailée —
Qui perche au cœur de l'âme —
Mélodie sans les mots —
Qui — jamais — ne s'arrête —
La bourrasque — donne à son chant —
Une douceur extrême —
Et l'orage serait mal inspiré —
D'intimider cet oiseau si menu
Qui a réchauffé — tant de cœurs —
Car je l'ai entendu —
Dans les terres les plus glaciales —
Et sur les mers les plus impressionnantes —
Pourtant — jamais — dans la pire disette,
Il n'a requis de moi — la moindre miette.
p.44
Le voyage (1863)
Ce fut un chemin de silence —
Il demanda si j’étais sienne —
Je répondis sans mots —
Mais du regard —
Alors — il m’emporta si haut
Avant même ce bruit mortel
De la fougue d’un Char —
Loin — comme le ferait des roues —
Notre monde avait disparu —
Comme les champs au pied
De qui se penche d’un ballon
Pour scruter une rue d’éther —
Le gouffre — derrière nous — n’était plus —
Les continents étaient nouveaux
C’était l’éternité avant —
L’éternité prévue —
Plus de saisons pour nous —
Ni nuits et ni matins —
Mais un soleil — qui en ce lieu —
S’était fixé en son aurore —
p.87
Les trois peurs (1862)
Peur ! Mais de qui aurais-je peur?
De la mort ? Qui est-elle ?
Le portier de la loge de mon père
Me déconcerte autant —
Peur de la vie ? Ce serait bien étrange
De craindre — la force qui me contient
En — une ou — peut-être — deux existences —
(C'est là un point de droit
Qui relève de Dieu — )
La peur de la Résurrection ?
L'orient aurait-il peur
de s'abonner au matin —
Comme un front difficile à contenter —
En train de dédaigner une couronne ?
p.48
Le mot (1862)
Certains prétendent
Qu'un mot est mort
Dès qu'il est dit —
Mais moi je tiens
Que sa vie naît —
De ce jour-là.
p.41
Être ou oiseau ?
L'être tient de l'oiseau —
Ressemblant au duvet
Qu'un souffle fait voguer
Dans la vastitude des cieux —
Il s'élève — se meut — tournoie —
Et se mesure aux nuages —
Paisible — régulier — éblouissant —
Les oiseaux ne sont guère différents —
Excepté le sillage de musique
Qui escorte leurs pas —
Mais ce duvet — ne délivre-t-il pas
La mélodie qui conduit à l'extase ?
p.72
Place de L'amour (1864)
Attendre une heure — semble long —
Si l'amour est juste — au-delà —
Mais d'attendre l'éternité est bref —
Si l'amour couronne sa fin —
La ménagère du couchant (1862)
Elle passe maints balais multicolores —
Elle sème partout ses brins —
Ô ! Ménagère du couchant —reviens —
Épousseter l'étang —
Tu as égaré des chiffons de pourpre —
Et laissé tomber un fil d'ambre —
Tu répands — jusqu'à l'est —
Des hardes d'émeraudes —
Puis elle secoue ses haillons diaprés —
La scène encore est un triomphe —
Puis – la pénombre vient mater ce zèle —
Ou la contemplation — échouer —
p.45
Sphères (1863)
Aucune vie n'est ronde
À l'exception des plus petites
Qui composent leur sphère —
Venant au jour pour disparaître
Les plus grandes sont plus lentes à croître
Demeurant tardivement sur la tige —
Quant aux été des Hespérides —
Ils durent — longuement —
p.95