Login. Mot de passe. Connexion. Elle connait un tas de sites de rencontres, de ceux pour minettes qui cherche le big love, et faut être supra conne pour croire qu'on le trouve dans le catalogue des branleurs asociaux qui se tripotent derrière leur écran d'ordinateur.
On peut tomber de tout en bas. Pour un coeur comme le sien c'est toujours suffisant, se briser, c'est juste une habitude, y a pas besoin d'élan.
Demander l'heure plein de fois. Juste pour qu'on me parle. Petit larcin d'humanité. Bruit des graviers sous leurs pas quand ils accélèrent pour ne pas me répondre.
Sur ce site-là, les mecs ne sont pas trop compliqués. Quand elle dit qu'elle est chaude et qu'elle cherche du réel, Eve trouve toujours à qui parler. Suffit qu'elle balance certains mots ou qu'elle parle de ses seins "petits mais fermes et les tétons pointent grave" pour que celui qui jure sur sa fiche ne chercher QUE l'amour s'intéresse à elle à bloc. Et c'est dingue le nombre de mecs qui lui tiennent ce genre de discours pipeau jusqu'à ce qu'elle les aide en prenant les commandes et explique par quel trou elle voudrait qu'ils la mettent.
[...]
Elle en a trouvé un finalement, dispo tout de suite. Dès qu'il y a marqué "bogoss" dans le pseudo, c'est forcément du bon, du vrai, du blaireau 100% qui se la raconte sur le prétendu nombre de connasses qu'il a rendues heureuses. Il est en slip sur la photo qu'il lui a envoyée. Petit corps pas épais, allongé sur son lit, une main sur le téton. Ça la fait hurler de rire, un mec comme lui, qui pose slip mou sur son lit, les parents probablement dans la pièce à côté à lui dire "Arrête de jouer à ce jeu vidéo on passe à table".
(p. 27-28)
Il l'a gardé six mois au fond de lui, petit diable dans sa boite à l'intérieur du ventre. Juste attendre que l'hameçon soit profond dans mon coeur, bien accroché dans mes chairs, pour faire jaillir le monstre. Patient, pour voir si je n'étais pas le genre de fille cinglée qui s’emballe trop vite. Être sûr que je serai prête à tout. Et je l'étais, clair que je l'étais.
Il m’a tapée pour pas grand-chose. Un mot de trop et je ne saurais pas dire lequel. La plaie sèche. Juste à la commissure, dans les angles du sourire. La visage se recompose, s’efface, puis se redessine. Mieux que la fois d’avant, et mieux que celles qui précédaient encore. Faudrait se satisfaire de ça, progrès de la peau à enchaîner les coups.
Elle baisse la tête et glisse une mèche derrière l’oreille. Réflexe auquel il s’attache. Petite bribe d’une personne qui fait qu’on commence à l’aimer sans rien de fondé. Il voudrait l’embrasser. Il voudrait la protéger du reste du monde. Il se recule au fond du canapé en finissant son verre.
Sur la vitre du taxi, elle frotte avec le doigt pour effacer la buée. Dessine un rond puis le fait disparaître en passant la main dessus. Elle en est sûre, que l’amour est une maladie dont on crève. Les sentiments commencent et se finissent. Une mort lente qui met des mois, des années pous dévorer la vie, quand ce n’est pas en quelques jours que ça détruit tout. Aimer ce n’est pas être heureux, c’est ce qu’on veut nous faire croire. Aimer c’est finir seul dans un monde dépeuplé. Aimer c’est attendre de ne plus l’être, croire en des choses qui n’existent pas.
Elle redessine une bouche, trace un contour là où se trouvaient les yeux. Elle pleure. Elle éponge le sang avec un peu de coton. Elle sait comme s'y prendre, elle l'a fait souvent.
Elle voudrait comprendre. Y a une évidence dessous, et elle va en baver d'avoir fait naître des sentiments pour lui. L'amour chez une fille comme elle ce n'etait pas fait pour être beau, c'est ça que ça veut dire, elle le voit bien. C'est plus difficile d'aimer quand on n'a pas entraîné le cœur à prendre des coups.