Regardez-les, ces hommes et ces femmes qui marchent dans la nuit.
Ils avancent en colonne, sur une route qui leur esquinte la vie.
Ils ont le dos vouté par la peur d’être pris
Et dans leur tête,
Toujours,
Le brouhaha des pays incendiés.
Ils n’ont pas mis encore assez de distance entre eux et la terreur.
Ils entendent encore les coups frappés à leur porte,
Se souviennent des sursauts dans la nuit.
Regardez-les.
Colonne fragile d’hommes et de femmes
Qui avancent aux aguets,
Ils savent que tout est danger.
Les minutes passent mais les routes sont longues.
Les heures sont des jours et les jours des semaines.
Les rapaces les épient, nombreux.
Et leur tombent dessus,
Aux carrefours.
Ils les dépouillent de leurs nippes,
Leur soutirent leurs derniers billets.
Ils leur disent : « Encore »,
Et ils donnent encore.
Ils leur disent : « Plus ! »,
Et ils lèvent les yeux ne sachant plus que donner.
Misère et guenilles,
Enfants accrochés au bras qui refusent de parler,
Vieux parents ralentissant l’allure,
Qui laissent traîner derrière eux les mots d’une langue qu’ils seront contraints d’oublier.
Ils avancent,
Malgré tout,
Persévèrent
Parce qu’ils sont têtus.
Et un jour enfin,
Dans une gare,
Sur une grève,
Au bord d’une de nos routes,
Ils apparaissent.
Honte à ceux qui ne voient que guenilles.
Regardez bien.
Ils portent la lumière
De ceux qui luttent pour leur vie.
Et les dieux (s’il en existe encore)
Les habitent.
Alors dans la nuit,
D’un coup, il apparaît que nous avons de la chance si c’est vers nous qu’ils avancent.
La colonne s’approche,
Et ce qu’elle désigne en silence,
C’est l’endroit où la vie vaut d’être vécue.
Il y a des mots que nous apprendrons de leur bouche,
Des joies que nous trouverons dans leurs yeux.
Regardez-les,
Ils ne nous prennent rien.
Lorsqu’ils ouvrent les mains,
Ce n’est pas pour supplier,
C’est pour nous offrir
Le rêve d’Europe
Que nous avons oublié.
Laurent Gaudé
Dans le mot exil
il y a une paire de semelles
qui ne se parlent plus
un baluchon plié
en haut du placard
une boussole rongée de remords
un dictionnaire bilingue
qui dit peu de choses
de l’exil
juste assez
pour cacher sa douleur
(poème de Souad Labbize)
Partir n'est pas un choix
Nous fuyons l'incendie
Pour inventer des commencements et désapprendre le désespoir.
Gaël Faye - La mer engloutit (extrait).
Baluchon d’exil
Extrait
Dans le mot exil/il y a une paire de semelles
[…]
des semelles
un baluchon
une boussole
qui ne rentrent pas
dans la traduction
du mot exil
une boussole
des semelles
un baluchon
qui ne rêvent plus
du droit au retour
Souad Labbize // Passagers d’exil
Regardez-les, ces hommes et ces femmes qui marchent dans la nuit.
Ils avancent en colonne, sur une route qui leur esquinte la vie.
Ils ont le dos voûté par la peur d'être pris.
Et dans leur tête,
Toujours,
Le brouhaha des pays incendiés.
Ils n'ont pas mis encore assez de distance entre eux et la terreur.
Ils apparaissent.
Honte à ceux qui ne voient que guenilles.
(extraits d'un poème de Laurent Gaudé)
Toujours
la nuit nous fait mal
la nuit suffocante
vorace
elle avale les débris
de présence
la même nuit
partout
épaisse
sans ombres
où s'enlisent
des trains invisibles
la nuit inquiète
sans repos
de l'exil
(poème de Sabine Huynh)
Nous vivons dans un jardin que l'on nomme la Terre. Nous pourrions y vivre ensemble, libres et égaux. Mais voici que des fruits sont offerts aux uns et refusés aux autres. Voici que des murs, des grillages, des haies de barbelés viennent nous séparer. Voici que des "demandeurs d'asile" passent sous nos fenêtres. Ne voyez vous pas? N'entendez vous pas? Et gronde la colère ... Et chantent les poètes... Il est peut être temps de penser le monde autrement.
p113.
Lorsqu'ils ouvrent les mains,
Ce n'est pas pour supplier,
C'est pour nous offrir
Le rêve d'Europe
Que nous avons oublié.
Extrait du poème de Laurent Gaudé "Regardez les, ces hommes et ces femmes..."
Sur chaque vague tu aperçois l'écume du mot exil. Françoise Ascal.