•"En cette nuit,
en cet instant de cette nuit,
je crois que même si les dieux incendiaient
le monde,
il en resterait toujours une braise
pour refleurir en rose
dans l'inconnu."
Fragments soulevés par le vent, de
Philippe Jaccottet
•L'auteur a choisi la trame de la famille mais tisse un motif bien plus vaste en y insérant des fils variés et parfois très éloignés les uns des autres, et pourtant tous vont être les éléments d'une seule et même composition finale.
Tout s'agence très lentement, l'écriture d'
Emmanuelle Dourson est riche, ciselée, ouvragée, pas tant au service de descriptions que de la mise en abyme des personnages : chacun existe bien sûr individuellement mais s'insère aussi dans une distorsion plus vaste. Chaque personnage s'intègre à un plan horizontal, en lien avec ses proches ou des personnes plus lointaines, parfois de parfaits étrangers. Mais chacun fait aussi partie d'un plus vaste plan, vertical, inséré dans l'histoire de l'Humanité, dans l'histoire même du temps.
•
Emmanuelle Dourson, grâce à une très fine perception, ne nous raconte pas seulement l'histoire troublée et douloureuse d'une famille. Elle pose au centre de sa grande trame un évènement qui fera éclater cette famille. Elle l'utilise comme un noeud central duquel elle va ensuite entrelacer tous les fils, allant des membres de la famille aux personnages de l'Odyssée d'
Homère.
•Mona et Jean ont deux filles, Clélia et Albane. A partir de cette structure familiale simple, l'auteur investit chaque recoin de leur relations, nous invite à des retours dans le passé. Et puis survient "l'événement" qui brisera cette unité de façade, déjà ébréchée.
Sur un rythme très lent,
Emmanuelle Dourson nous conte cette histoire familiale en la reliant au monde de la musique, à l'écologie, à la mythologie, en se focalisant sur la transmission de femmes en femmes, et en l'insérant dans un ensemble bien plus vaste.
Si le roman est tout d'abord construit lentement, dans un style alangui, voire apathique,
Emmanuelle Dourson pousse chaque description jusqu'à l'infime, prenant son temps, pour aboutir à un rythme de plus en plus soutenu, presque oppressant ou haletant, comme une ascension s'achevant dans un dénouement comme une grande explosion.
•C'est un premier roman. Il n'y paraît pas. On sent bien la maîtrise de l'écriture, un style très travaillé. Mais pas uniquement. L'auteur touche à quelque chose de très profond.
Et c'est là que c'est difficilement explicable : je tombe en plein paradoxe, comme dans un piège. Cette lecture est ardue, exigeante. Elle m'a été souvent pénible, j'ai lutté pour la poursuivre, à la façon là encore d'une ascension. La lutte à rentrer dans ce roman qui s'imposait à moi comme un mur qui me repoussait sans cesse, l'impatience à recueillir enfin un fruit, l'agacement souvent face à des disgressions qui me perdaient, la persévérance à poursuivre tout de même... Et puis la mise en place progressive des protagonistes, leurs liens enfin dévoilés, leur place respective dans cette grande toile. Enfin je n'avançais plus à l'aveuglette, à tâtons, enfin un peu de clarté jusqu'à l'éclatement final, atteindre enfin le point culminant de la randonnée, comme un Ulysse égaré qui rentre enfin en son foyer, comme la dernière note d'une symphonie haletante qui vous laisse essoufflé mais contemplatif.
Je reste face à un grand mystère :
Emmanuelle Dourson dans certains passages m'a totalement percutée, comme si je ne comprenais pas totalement, comme si je ne pouvais pas intégralement m'approprier ses mots, et pourtant je suis touchée, je sens presque le sacré dans ses lignes, l'inévitable, l'incontournable...
Ce roman mérite une seconde relecture, plus tard, le temps pour les mots de murir. N'est-ce pas là après tout l'enseignement de ce roman ?