Bilel, un jeune adolescent du bled, vient d'arriver en France. Mais illégalement. Avec un groupe de clandestins, il est trimballé par des passeurs qui les enferment bientôt dans un hangar pour pouvoir mieux les exploiter. Bilel parle français et sa passion pour le foot va lui sauver la mise. Discutant vignettes panini avec l'un d'eux, il réussit à s'enfuir. Alors qu'il erre dans la ville de Sangatte à la recherche de son grand frère Ahmed, il fera quelques rencontres opportunes qui lui permettront de tenir. Quand, enfin, Bilel retrouve Ahmed, les choses sont loin d'être aussi chaleureuses que prévues... La désillusion est au rendez-vous.
Voilà tout simplement mon premier coup de coeur de l'année !
Nous avons ici une histoire d'un réalisme saisissant qui, à travers le parcours du jeune Bilel, traite du problème de l'immigration clandestine.
Bilel, jeune adolescent innocent débarque donc en France à bord d'une camionnette secrète afin de rejoindre son frère, parti il y a quelque temps déjà. Son rêve : aller en Angleterre avec ce dernier, sur la terre d'origine du joueur de foot Beckam dont il est supporter et dont il tire son surnom (
Békame).
Mais le parcours du jeune garçon sera loin d'être une sinécure. Il va devoir affronter la violence et la méchanceté de ses prochains qui ne le voit que comme un parasite ou une source de revenus.
Tous les aspects du problème sont abordés de près ou de loin : exploitation des clandestins qu'on fait travailler, pression et violence physique des passeurs qui confisquent les passeports, rejets des habitants envers les étrangers et les trainards, peur et danger d'aider des sans-papiers,...
La violence est constante. Une clandestine peut se faire violer sans aucun secours. Une travailleuse sans-papiers blessée se voit abandonnée à un arrêt de bus, jetée comme un objet hors-d'usage qui ne sert plus.
Pourtant, Bilel va aussi rencontrer de la compassion et de l'aide. Un SDF lui apprendra ses premiers trucs pour gagner un peu d'argent. Puis c'est un immigré arabe, entraîneur de foot, qui repère le jeune passionné et ses prometteuses capacités. Comprenant bien vite que le garçon est clandestin, il l'héberge pour un temps.
Bilel reste malgré tout un clandestin qui doit fuir. Fuir devant la police. Fuir devant ses anciens passeurs que le hasard mettra régulièrement sur sa route. Quand le souhait de ce dernier se réalise enfin, retrouver son frère, c'est toute l'horreur et l'absurdité de l'immigration qui se fait jour, où les victimes deviennent à leur tour bourreaux. La vérité des faits est glaçante.
Aurélien Ducoudray a longtemps côtoyé les clandestins en tant que photographe de presse. Nourri de son expérience personnelle et des différents témoignages qu'il a recueilli, il réussit avec brio à dresser un portrait plus que réaliste de la situation des immigrés clandestins d'aujourd'hui. Tenant à la fois du reportage, du témoignage romancé,
Bekame s'avère véritablement édifiant quant à la situation parfois insoupçonnée ou invisible de ces hommes qui tentent tout pour quitter leur pays.
Si le propos est militant, l'auteur laisse néanmoins le lecteur tirer ses propres conclusions.
" J'écris une histoire sur fond social. Je n'écris pas pour dénoncer, c'est au lecteur de se forger un avis. "
Les personnages sont particulièrement réussis. Bilel est profondément attachant et on ne peut que ressentir de l'empathie face à ses déboires et à ses désillusions. le SDF Victor et son chien Hugo, l'entraîneur berbère, ses deux filles et la mamie arabe ont aussi de la consistance. le frère Ahmed et une certaine amertume qui l'a transformé en petit caïd. C'est une véritable galerie de portraits qui nous est offert ici.
Les faits ne sont ni tout noirs, ni tout blancs. L'immigration est une réalité qui ne s'encombre pas de subtilités et les choses sont posées telles quelles, sans noircir le tableau.
" Ce n'est pas une vision pessimiste, ni noire, indique le scénariste. Juste gris foncé avec un peu de cynisme. "
Du côté du dessin, Pourquié n'est pas en reste. Il livre un travail que je trouve particulièrement réussi. A l'image de l'histoire, son trait est brut, incisif. Il retrace parfaitement la violence et la noirceur de ce monde déshumanisé. Les couleurs sont appuyées, fortes. La sensibilité n'est cependant pas absente. Les dialogues sont parfois inutiles pour montrer la force du propos et certains passages sont vibrants d'émotion.
Vous l'avez compris, j'ai vraiment adoré cet album. Un album nécessaire. Indispensable même. Il fait partie de ces lectures qui parlent de notre monde, qui nous montre ce que parfois nous nous refusons à voir ou ce que nous ignorons tout simplement.
Bekame est un album qui remue et ne laissera personne indifférent. C'est l'histoire de l'immigration clandestine qui est condensé ici avec beaucoup de réalisme, de violence et de pudeur à la fois. Un album qui ne se penche pas sur le pourquoi mais témoigne surtout du comment. Comment vivre lorsque l'on est clandestin, comment essayer de s'en sortir ? Comment faire face au rejet ? Comment se défendre lorsque que l'on a plus rien à monnayer ? Comment continuer à espérer lorsque l'on se prend des désillusions en pleine face ? Si le jeune
Békame est un personnage de papier qui ne craint que les idées de ses auteurs, combien d'hommes et de femmes sont à la rue, craignant pour leur avenir ?
Le deuxième tome du diptyque est à venir. En attendant, penchez-vous de toute urgence sur ce premier volume !
Un album indispensable vous-dis-je.
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