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Critique de Annezzo


Dans mes bras, Marc Dugain ! de manière assez condensée, il nous traite les assassinats des frères Kennedy en, comment dirais-je... en dressant un doigt poli mais ferme vers les versions officielles. Sans avoir de vapeurs à passer pour un complotiste, au contraire, il nous présente cette version officielle, ces versions, comme du leurre bêtassouille, mal ficelé, auquel un cerveau normal ne peut adhérer tellement c'est grossier.
Voilà, c'est dit. Lee Harvey Oswald en tireur solitaire ? Mais vous voulez rire. Sirhan Sirhan en tireur unique ? Meuh arrêtez vos bêtises. Je respire. Ça va mieux. Merci de nous dédouaner. de nous dédouaner d'avoir ces pensées. Comme de ne pas comprendre comment des gens estimables, intelligents, acceptent le front haut d'encaisser cette version officielle comme la bonne. Merci de nous retirer de la meute honnie des comploplo, pour nous mettre dans un fauteuil, celui d'observateur avisé.
Et tout, tout ce qu'il dit, cite, nomme, explique, à propos de ces deux meurtres est tamponné vérifié, condition sine qua non pour ne pas laisser le doute s'insinuer. C'est clair, sans bavure. Oui, vérification faite, même les passages troublants autour du contrôle des esprits, le Dr Gottlieb, le Manchurian Candidate, tout est vrai. La présence des Bush, très cocasse. La robe à pois. le dernier amour de JFK, Mary, qui effectivement, s'est fait descendre peu après la mort de Jack.
NB : John Fitzgerald, c'est son prénom officiel, que personne n'employait. Tout le monde l'appelait Jack, qui serait le "diminutif" de John. Pour Bobby, pareil, personne ne l'appelait Robert. Tout comme Edward le quatrième frère, nommé Ted par tout le monde. C'est un coup à prendre !
Tout est donc vrai dans l'histoire si controversée des assassinats Kennedy racontée ici...
... et puis voilà l'histoire personnelle du héros du livre. Qui, même s'il porte le nom de O'Dugain, n'est pas Marc Dugain, mais un personnage inventé.
Et là, il est malin il est taquin, Marc Dugain.
Avez-vous vu Shutter Island ? L'inspecteur di Caprio arrive sur l'île Shutter, avec son second Marc Ruffalo. Dans l'hôpital psychiatrique installé sur l'île mystérieuse, il se passe des choses étranges, des disparitions non expliquées, et les deux flics viennent là pour enquêter.
O'Dugain vient sur l'île de Vancouver (au Canada) pour enquêter sur son propre passé, ou plutôt, sur le passé de ses deux parents, morts à un an de distance, jeunes, de mort violente, suicide accident ou assassinat, on ne sait pas. Ils vivaient dans une grande demeure isolée, où le petit O'Dugain a grandi, avec ses parents jusqu'à leur mort, puis avec sa grand-mère. Il débarque, à soixante ans, en compagnie d'une charmante jeune femme qui a bien trente/trente-cinq ans de moins que lui.
Et là, tous les doutes sont permis. Rhô.
Le personnage ne cache pas qu'il voit régulièrement des médecins, des psy, pour ses crises d'angoisse. Il en parle librement, tout comme de ses doutes, et des petits dysfonctionnements de son récit. le témoin lointain du parc Monsouris, avec qui il parle longuement, et qui soudain n'existe plus. le flic méfiant qui s'était occupé de la mort de madame O'Dugain mère, marqué à jamais par le constat qu'il avait dû rédiger à l'époque, et qui se dissout d'une phrase. Et même un minuscule détail qui m'a enduite de doute : le personnage raconte que petit, il voyait les bateaux naviguer vers le nord et l'île du Prince Edward, depuis l'île de Vancouver, et qu'il rêvait d'y camper comme son père le lui avait promis. L'île de Vancouver est en face de la ville du même nom, sur la côte Pacifique, à deux pas de la frontière des USA. L'île du Prince Edward est située vers Québec, totalement sur la côte Atlantique. Pour aller y camper, il faudrait que nos navigateurs descendent jusqu'au canal de Panama pour ensuite remonter la Floride, la côte Est, jusqu'aux eaux froides du Labrador. Ou bien remontent la côte pacifique jusque vers l'Alaska, se glissent entre les glaciers sur des milliers de kilomètres gelés, pour arriver sur la côte Atlantique et descendre vers la fameuse île. Est-ce fait exprès ? Ce n'est qu'un détail.
Sur cette Shutter Island du livre, en tous cas, la Grande Histoire (les assassinats des frères Kennedy) rejoint la Petite, celle du héros, autour de la personne du père, hypnotiseur de renommée mondiale.
J'allais dire qu'on ignore le nom du père, mais je me trompais, lui et sa mère (appelée Maine dans le livre, diminutif de Germaine) portent le nom de Skowronek. Alouette, en polonais. Connait-on le prénom de nos personnages ? A part Maine, il me semble que ce n'est jamais évoqué. Même le héros reste flou sur ce sujet comme sur plein d'autres. Quant à ses parents, ce sont des ombres, des silhouettes, des apparitions, sans vraiment de chair.
Et la zone de jonction entre la grande et la petite histoire se situe dans LE territoire le plus flou, le plus sombre, le plus prompt à faire naître la paranoïa : l'hypnose et le contrôle des esprits.
Il est malin il est taquin Marc Dugain. Au lieu de semer le trouble et le doute sur des faits tellement cinglés qu'on a du mal à accepter que ça ait pu se dérouler comme ça, et qui pourtant ont existé, il sème le doute sur la partie fiction. Et on referme le livre sans trop comprendre ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas, au juste. Très taquin, un rien vicieux même !
J'ai lu ce livre il y a quelques trois-quatre ans. Ça m'a donné envie d'en savoir plus, notamment sur l'assassinat de Bobby dont on ne parle quasi jamais, contrairement à celui de son grand-frère, où même ceux qui n'étaient pas nés se souviennent de ce qu'ils faisaient le 22 novembre 1963...
Alors j'ai lu, et la littérature sur les Kennedy compte quelques 1000 livres, ça laisse de la marge. Plus j'en apprenais, plus j'avais envie d'en apprendre encore.
Plein de sites aussi, qui ressassent à l'infini le trajet de la deuxième balle (la balle magique) et de la troisième, l'angle d'Elm Street, le monticule herbeux, d'autres qui racontent inlassablement comment Thanes Cesar a guidé Bobby vers la cuisine de l'hôtel Ambassador, sa cravate clippée au sol, les témoins de la fille à la robe à pois - polka-dot-dress-girl, en anglais... Les photos de Oswald non pas en Russie mais en Bielorussie, avec sa jeune épouse soviétique de Minsk, et leur petite fille, et durant son enterrement. L'étrangleur de Boston, DeSalvo, dont le nom est évoqué dans les carnets de Sirhan Sirhan...
Et même des films, entre "Jackie" (Nathalie Portman) en son entretien avec le journaliste, et "Parkland", l'hôpital où Jack mourant a été emmené d'urgence à Dallas, les gens qui glissaient dans les mares de son sang, Jackie hagarde, les médecins assommés par la situation - le fameux JFK d'Oliver Stone ayant ouvert la première grande brèche cinématographique dans toute cette histoire.
Sans parler des histoires autour des Kennedy, en premier lieu Marilyn (je conseille les Immortels de Korda), mais aussi Sinatra si troublant, John Junior, Lemmy le vieux pote de toujours, le reste de la famille, les mafias, jusqu'à la tante de Jackie, Little Eddie, errant à moitié cinglée dans une maison abandonnée des Hamptons.
ad lib.
Et forte de toutes ces informations, j'ai relu goulument le Marc Dugain, appréciant vraiment la véracité de ses recherches, et la concision de son livre - là où les sublimes American Tabloid et American Death Trip d'Ellroy ont abattu la moitié des forêts de Norvège pour produire le papier nécessaire à l'édition de ces pavés. Ces deux-là m'ont donné l'impression d'être repue, aaaah, j'avais eu tout mon saoul de Kennedy, tout ce que j'allais lire ensuite serait de la gourmandise. En y ajoutant la succulence du livre de Don Delillo, "Libra", qui a étudié avec génie la vie et le destin de Lee Harvey Oswald.

Petit addendum : Mister Dugain (comment ? Mais bien sûr qu'il lit les critiques de chez Babelio !), vous parlez de John Frankenheimer le réalisateur et ami des Kennedy, chez qui Bobby a passé son dernier diner. Et vous parlez de ces projets délirants de la CIA autour du contrôle des pensées, le MK Ultra, le fameux "Manchurian Candidat"... Or, c'est aussi le titre d'un film dudit Frankenheimer, racontant comment un prisonnier américain chez les (méchants) communistes se fait laver le cerveau afin de revenir au pays et de tuer tel candidat à la présidentielle américaine. le film date de 1962, du temps de JFK à la présidence. le même JFK, apprenant que Frankenheimer n'arrivait pas à convaincre les producteurs de produire son film, lui a apporté son soutien personnel et a permis la réalisation du film, dont le héros est joué par... Franck Sinatra, l'ex-pote de débauche. A cette époque, la CIA dans le plus grand secret avait déjà démarré ses recherches sur le sujet. Une boucle étrangement bouclée, si on accepte le fait qu'Oswald a peut-être été hypnotisé, et Sirhan encore plus sûrement, sur la base du Manchurian Candidat, pour tuer un président ou un futur président...
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