Confession de minuit /
Georges Duhamel
Salavin, célibataire à la trentaine, le narrateur, est employé dans la maison Socque & Sureau à Paris. Il mène une petite vie terne de bureaucrate. Un beau matin il est convoqué dans le bureau du directeur, M. Sureau, pour une mission dont il n'a pas encore connaissance. Alors qu'ensemble ils regardent un document, un désir irrépressible de toucher l'oreille de M.Sureau le saisit, une sorte de nécessité vitale, une impulsion inexplicable ! Et soudain, n'y pouvant plus tenir, il allonge le bras et pose son index sur l'oreille de Sureau. Une vétille ? Non ! S'en suit une cascade d'événements avec en conclusion de l'algarade la mise à pied de Salavin.
Salavin vit chez sa mère et se torture en une détresse morale profonde pour savoir comment il va lui annoncer cette nouvelle catastrophique. Une mère aimante, au regard chargé de tendresse inquiète et de bonté simple, un regard affectueux qui ne l'a pas quitté depuis qu'il est au monde.
La suite nous montre un personnage étrange, à, la recherche de lui-même, qui analyse son acte et se demande comment il a pu céder à une impulsion tellement saugrenue : « Une minute de pause suffit à me bien montrer que je n'étais pas du tout dans mon état normal, ce fameux état dans lequel je ne suis jamais ! Il faut si peu de choses pour me rendre heureux. le plus grave est qu'il en faut encore moins pour me détraquer…Je hais le mensonge. On a suffisamment de mal à se dépêtrer de la vérité ! Faut-il y mêler d'autres misères ? »
Tout au long de ce récit, le narrateur s'adresse au lecteur le prenant directement à témoin de ses déboires, tel un interlocuteur. Avec un sens de la formule et de l'oxymore assez jubilatoire,
G. Duhamel qui se met dans la peau de Salavin nous régale dans un style poli et alerte. Il faut dire que le personnage est assez pittoresque quand il dit : « C'est insupportable, quand on parle de soi, on n'a jamais fini. » Et parlant de l'appartement : « J'ai ce logement en horreur et, pourtant, je ne suis bien que là. »
de la rue Mouffetard à la rue Monge, sillonnant le Quartier Latin, Salavin une fois l'aveu à sa mère accompli erre en rêvant et ressent un bonheur inconnu, enfin ce qu'il croit être le bonheur, quelque chose de comparable au bonheur d'une pendule qui est remontée pour cent ans, au bonheur d'une pierre qui tombe dans l'espace pour l'éternité. Un bonheur fugace qui ressemble plutôt à un soulagement car la suite lui devient une torture : « le démon de mes nuits nouait autour de ma poitrine une étreinte souveraine et, enlacés, face contre face, nous nous enfoncions tous les deux dans l'autre monde. »
Salavin décide de chercher du travail car il n'en peut plus de subir cette fermentation véhémente qui ravage son esprit : « Faire quelque chose, oui ! n'importe quoi, plutôt que cette perpétuelle contemplation du dedans… » Mais il doute et ajoute en pleine détresse : « Si j'étais capable de faire très bien une chose, quelle qu'elle soit, je ne serais pas l'homme que je suis. » Il n'éprouve que du dégoût pour lui-même, anxieux des surprises de l'avenir, souhaitant comme tant d'hommes comblés, que l'éternité tout entière ne soit qu'une amplification de l'instant où il est heureux et où il se plait à lui-même. À la fin, sa pensée revient toujours à sa mère et à Marguerite, la jeune voisine amie de sa mère dont il est secrètement amoureux, ces deux chères figures entre lesquelles sa vie va se consumer irrémédiablement. Indéfiniment, Salavin reste dans l'inaction, le désoeuvrement, la liberté sans but et rêve sa vie : un anti-héros absolu en proie à des tourments existentiels insolubles face à l'échec de toutes ses entreprises, un être inadapté à la société en quête indéfiniment d'une identité.
Confession de minuit est le premier tome des cinq romans qui constituent le cycle romanesque «
Vie et aventures de Salavin » de
Georges Duhamel, publié entre 1920 et 1932.