Citations sur Le Vicomte de Bragelonne, tome 1/3 (60)
D'Artagnan, grâce à son imagination sans cesse errante, avait peur d'une ombre, et, honteux d'avoir eu peur, il marchait à cette ombre, et devenait alors extravagant de bravoure si le danger était réel. Aussi, tout en lui était émotions, et partant jouissance. Il aimait fort la société d'autrui, mais jamais ne s'ennuyait dans la sienne, et plus d'une fois, si on eût pu l'étudier quand il était seul, on l'eût vu rire des quolibets qu'il se racontait à lui-même ou des bouffonnes imaginations qu'il se créait justement cinq minutes avant le moment où devait venir l'ennui.
Il y a dans certaines âmes, et je viens de m'apercevoir que la mienne est de ce nombre, une satisfaction réelle dans cette assurance que tout est perdu et que l'heure est enfin venue de succomber.
Il semblait surtout, comme un philosophe, et tous les vieux soldats sont philosophes, il semblait surtout comprendre infiniment mieux les ennuis que les joies ; mais des uns il faisait son parti, sachant bien se passer des autres.
Raoul aperçut au loin le toit aigu, les deux petites tourelles, le colombier dans les ormes et les volées de pigeons qui tournoyaient incessamment, sans pouvoir le quitter jamais, autour du cône de briques, pareils aux doux souvenirs qui voltigent autour d'une âme sereine.
— Maintenant, sire, qu’aurai-je à faire des finances ?
— Tout ce que M. Fouquet ne fera pas.
— C’est là ce que je demandais à Votre Majesté. Merci, je pars tranquille.
Il partit en effet sur ces mots. Louis le regarda partir. Colbert n’était pas encore à cent pas du Louvre que le roi reçut un courrier d’Angleterre. Après avoir regardé, sondé l’enveloppe, le roi la décacheta précipitamment, et trouva tout d’abord une lettre du roi Charles II. Voici ce que le prince anglais écrivait à son royal frère :
« Votre Majesté doit être fort inquiète de la maladie de M. le cardinal Mazarin ; mais l’excès du danger ne peut que vous servir. Le cardinal est condamné par son médecin. Je vous remercie de la gracieuse réponse que vous avez faite à ma communication touchant lady Henriette Stuart, ma sœur, et dans huit jours la princesse partira pour Paris avec sa cour.
« Il est doux pour moi de reconnaître la fraternelle amitié que vous m’avez témoignée, et de vous appeler plus justement encore mon frère. Il m’est doux, surtout, de prouver à Votre Majesté combien je m’occupe de ce qui peut lui plaire. Vous faites sourdement fortifier Belle-Isle-en-Mer. C’est un tort. Jamais nous n’aurons la guerre ensemble. Cette mesure ne m’inquiète pas ; elle m’attriste… Vous dépensez là des millions inutiles, dites-le bien à vos ministres, et croyez que ma police est bien informée ; rendez-moi, mon frère, les mêmes services, le cas échéant. »
Le roi sonna violemment, et son valet de chambre parut.
— M. Colbert sort d’ici et ne peut être loin… Qu’on l’appelle, s’écria-t-il.
Le valet de chambre allait exécuter l’ordre, le roi l’arrêta.
Vers le milieu du mois de mai de l’année 1660, à neuf heures du matin, lorsque le soleil déjà chaud séchait la rosée sur les ravenelles du château de Blois, une petite cavalcade, composée de trois hommes et de deux pages, rentra par le pont de la ville sans produire d’autre effet sur les promeneurs du quai qu’un premier mouvement de la main à la tête pour saluer, et un second mouvement de la langue pour exprimer cette idée dans le plus pur Français qui se parle en France :
— Voici Monsieur qui revient de la chasse.
Et ce fut tout.
Cependant, tandis que les chevaux gravissaient la pente roide qui de la rivière conduit au château, plusieurs courtauds de boutique s’approchèrent du dernier cheval, qui portait, pendus à l’arçon de la selle, divers oiseaux attachés par le bec.
À cette vue, les curieux manifestèrent avec une franchise toute rustique leur dédain pour une aussi maigre capture, et après une dissertation qu’ils firent entre eux sur le désavantage de la chasse au vol, ils revinrent à leurs occupations. Seulement un des curieux, gros garçon joufflu et de joyeuse humeur, ayant demandé pourquoi Monsieur, qui pouvait tant s’amuser, grâce à ses gros revenus, se contentait d’un si piteux divertissement :
— Ne sais-tu pas, lui fut-il répondu, que le principal divertissement de Monsieur est de s’ennuyer ?
Le joyeux garçon haussa les épaules avec un geste qui signifiait clair comme le jour :
— En ce cas, j’aime mieux être Gros-Jean que d’être prince.
Alors Dieu prit en pitié le malheureux prince, et lui envoya le sommeil, frère innocent de la mort.
Vous valez bien mille hommes à vous tout seul, monsieur d'Artagnan. Je le sais bien. Mais où trouverez-vous trente-neuf hommes qui valent autant que vous ?
Ma majesté, monsieur, fera comme le soleil, qui voit tout, grands et petits, riches et misérables, donnant le lustre aux uns, la chaleur aux autres, à tous la vie.