Aussi, à chaque printemps, Corot s’envolait à la campagne sentir les pousses nouvelles, et avril le voyait à Ville-d’Avray ou chez ses anciens amis, les marchands de drap ; ce mois leur était ordinairement consacré. Le mauvais temps ne l’arrêtait guère ; « Ça ne fait rien, disait-il, je vais là pour me reposer... en travaillant. Songez, je n’ai plus qu’une trentaine d’années à vivre, — encore , en mettant les quatre au cent, — et ça passe si vite ! en voilà soixante-dix d’envolées, et il me semble qu’elles ont été rapides comme les voyages qu’on accomplit dans un rêve.
Aussitôt qu’il fut libre, le jour même, ou à peu près, juste le temps nécessaire pour être muni des outils de l’artiste, il fit sa première étude au centre de Paris, tout à côté de la maison paternelle : il descendit sur la berge de la Seine, non loin du pont Royal, en regardant vers la Cité, et, plein de joie, se mit à peindre.
Corot occupe une place considérable dans l'art de notre temps par son talent et par l'influence qu’il a exercée sur l'école du paysage ; peut-être est-il permis d’ajouter qu’il appartient, dans une certaine mesure, à l’histoire générale de la peinture, parce qu’il est du très-petit nombre de ceux qui ont mis quelque chose d’intéressant, de personnel dans leurs ouvrages, et que tout en restant classique lui même,— ses dessins sont là pour le montrer, — il a réagi contre l'excès de traditions appauvries qui ne produisaient plus que des fictions conventionnelles sans aucun souci de la réalité.
L'exposition de Corot, en 1859, fut particulièrement remarquable et nous fait voir toutes les notes diverses de son talent. L'horizon qu’il embrasse semble avoir atteint toute son ampleur; ce n’est plus seulement l’aspect tendre de la nature, son côté poétique et vague qu’il a voulu rendre, il aborde en même temps les sujets élevés, il touche aux grandeurs épiques avec Dante et Virgile , et au drame avec Shakespeare; puis, explorant d’autres régions, il crée des fantaisies délicieuses, et au retour de ses lointains voyages, il se recueille en rêvant dans les bois de Ville d’Avray.
Les souvenirs de l’enfance et les sensations qu’il avait reçues à Rouen se trouvaient ainsi renouvelés et s’enfonçaient plus profonds dans son cerveau; il leur attribuait une grande puissance sur sa manière de voir et de sentir les spectacles de la nature et sur toute sa destinée d’artiste.