Citations sur L'été 76 (12)
En ce lundi de Pentecôte, sous un ciel gris et une mer agacée, l’agitation du bateau me causa d’affreuses nausées. Trois jours de grand calme m’avaient bercé d’illusions ; un seul coup de vent suffit à me faire comprendre que je ne serai jamais navigateur.
L’oncle de mon père avait fait fortune comme architecte au lendemain de la guerre. La « modernisation du logement » recouvrait alors de juteux échanges avec le monde politique et les entreprises de construction. De nouvelles cités poussaient d’un seul jet dans les espaces froids, morts, excentrés, qui deviendraient plus tard les fameux « quartiers sensibles ». Nul n’y songeait, pour l’heure, et toute une génération de « Grand Prix de Rome » s’était tournée vers cette lucrative activité qui prolongeait, sans trop y croire, les utopies de Le Corbusier. Leur rêve d’artistes s’était transformé en trafic de cages à lapin ; ce qui ne les empêchait pas de retrouver tout leur talent pour construire leurs propres demeures.
(...) Qu'on soit communiste ou capitaliste l'avenir se confondait avec le progrès.(...) l'avenir radieux ne semblait guère contestable. Cette perspective nourrissait les utopies révolutionnaires; elle se traduisait aussi, concrètement, par un style de vie et de consommation de plus en plus calqué sur celui des E.U.
Cette confiance dans l'avenir censé élargir sans fin notre horizon s'appuyait sur des symboles très concrets : le premier pas sur la lune en 1969 (...) Il me semble aussi que la phase descendante de la modernité commença dans ces mêmes années (...) Du jour au lendemain, la "crise" était devenue le thème central du discours économique et politique, accompagné de son corollaire : cette fameuse "sortie du tunnel" régulièrement annoncée sans jamais survenir. (...) Et, si les premiers pas de l'homme sur la lune avaient matérialisé un projet extraordinaire, il semblerait bientôt clair que nous ne franchirions jamais les confins du système solaire.(...) Le temps des rêves ferait place aux temps des peurs ...
Déchiffrant quantité de traités théoriques, je m'étais d'abord intéressé au dodécaphonisme sériel - technique de composition qui, sous son nom compliqué, se révélait assez simple pour un compositeur en herbe possédant l'esprit logique. Loin des subtilités de l'harmonie tonale (qui requiert une longue éducation de l'oreille); j'étalais mes suites de notes à l'endroit, à l'envers, selon des calculs d'intervalles aussi amusants que le calcul mental.
Comme prévu, je m’étais inscrit en première « D », compatible avec ma future profession de médecin de campagne. Par ce choix, j’évitais surtout la trop sérieuse première « C » qui préparait les réussites professionnelles au prix d’un labeur intensif.
Au cours de l'hiver 1977, à la Maison de la Culture, j'avais également découvert une pièce pour deux pianos de Luciano Berio, jouée par Katia et Marielle Labèque dans un spectacle chorégraphique de Félix Blaska. Subjugué par cette trame sonore liquide et mystérieuse, parcourue d'infimes nuances, je m’efforçais d'en retrouver les couleurs sur mon vieux Gaveau. Je manquais d'interlocuteurs pour partager ces découvertes ; mais la rareté même d'un tel répertoire en ville faisait de moi une sorte de pionnier local, réinventant l'Histoire pour son propre usage, et cultivant les plaisirs solitaires qui vont de pair avec l'exigence avant-gardiste.
Car, depuis quelque temps, jusque dans notre paroisse, la religion traditionnelle était balayéee par une doctrine égalitariste qui faisait de Jésus-Christ un ancêtre direct de Karl Marx. "p.24
"C'est pourquoi chaque détail de notre vie fugitive me paraît plus précieux que les rêves de transcendance, les prosternations devant l'au-delà, les invocations aux forces mystérieuses. Et c'est pourquoi je voudrais en retrouver la substance et l'émotion suspendues, comme je les retrouve aujourd'hui, en arpentant la montagne magique et en respirant ces fougères anisées- les mêmes que je respirais à quinze ans, dans l'enchantement de la poésie et de l'amour naissant.
Ainsi étions-nous déjà en 1975. Socialement et politiquement, nous répétions déjà ce que les soixante-huitards avaient dit avant nous, et d'autres encore avant eux. Le monde moderne depuis sa naissance a toujours été en crise d'adolescence. La lutte anti-bourgeoise a toujours fait partie de la bourgeoisie.
Côté musical, plusieurs dictionnaires récents m'indiquaient d'emblée les noms de créateurs à peine quinquagénaires, mais présentés comme des génies incontestables de notre temps.