Winter arrivait à la gare centrale. On entendait passer une annonce dans les haut-parleurs, d'une voix incompréhensible. Il doit exister une école pour les gens qui parlent dans ces engins-là, pensa-t-il. Une école de l'opacité. Chauffeurs de bus, conducteurs de tramway, annonceurs dans les gares... On avait dû leur faire travailler leur élocution : Attention, on vous tape sur les doigts au cas où les gens comprennent un traître mot de ce que vous racontez.
Pas d'ennemis, aucun conflit, aucun souci au travail. Un cas unique sur cette terre, songea--il. Ou alors c'était quelqu'un qui ne disait jamais rien.
- Ensuite, il faudra voir ce que les gars de la police scientifique auront trouvé, continua Halders.
- L'un d'entre eux était une femme, précisa Winter.
- Ouais, enfin c'est bien ce que je dis. Quand une fille est compétente, elle peut faire partie de nos gars.
Dehors , les arbres se balançaient dans le vent , des ormes , des tilleuls , des érables , avec des crêtes à 25 mètres de haut , des géants centenaires qui seraient toujours là , bien après sa mort à lui , bien après leur mort à tous . Leur petite bande de ce matin disparaîtrait de ce paradis sur terre , pour aller rejoindre d'autres cieux , plus ou moins tard selon les cas , tandis que toute cette verdure continuerait à dodeliner doucement dans la tiédeur de l'été . Ces dernières années , il s'était mis à réfléchir sur la vie , il était devenu philosophe , ce qui ne pouvait manquer d'arriver dans ce métier . On travaillait sur ce qui avait mis fin à l'existence de quelqu'un , sur les disparitions prématurées . La tâche était difficile et délicate , il se demandait parfois pourquoi Dieu et le ministère de l'Intérieur avaient bien pu la confier à des gens comme les policiers .
Un oiseau vient de passer devant la fenêtre et bientôt je serai pareille à cet oiseau. Pensez à moi quand vous verrez un oiseau, n'importe lequel. Je pense à vous, maintenant et pour toujours.
Une sirène retentit de nouveau dans la nuit et le réveilla au milieu d'un rêve. Il avait rencontré quelqu'un qui lui avait dit qu'il se trompait de chemin depuis le dernier carrefour. Un être sans visage. Aide-moi avait-il dit. Aide toi toi-même, avait répondu la voix. Il n'y a que toi qui puisse t'aider.
Un silence terrible régnait maintenant dans l'appartement. Parfois, quand il entrait chez des gens, il avait l'impression d'entendre encore des cris. Ce n'était pas le cas ici. Ils étaient partis avec;
- Tu as vérifié du côté des cinglés? continua-t-il.
- On est en train de le faire.
- Il y en a de plus en plus, remarqua Birgersson. (Il se retourna vers Winter. Son visage était flou dans cette lumière grise, comme s’il n’était déjà plus vraiment là.) À l’époque où j’ai commencé dans le métier, on pouvait les appeler en une matinée. Avant le déjeuner, c’était fini, on les avait tous eus au bout du fil.
- Je sais, Sture.
- Il n’y en avait pas des masses. J’avais toute la clique dans mon Filofax. (Birgersson désigna son bureau d’un signe de tête.) C’était avant l’ère du téléphone portable. Avant l’internet. Une époque formidable.
Christer Borge avait attendu près de cinq heures avant d’appeler la police. […] Après vingt-quatre heures sans aucune nouvelle d’Ellen, la brigade criminelle avait pris le relais. […] Le jeune Erik Winter s’était vu confier l’affaire. […] Christer n’avait pas accueilli son arrivée avec beaucoup d’enthousiasme. Il s’était montré nerveux, mais Winter n’avait pas compris à quoi cela pouvait tenir. Il fallait des années d’interrogatoire pour acquérir une telle pénétration de l’âme humaine. On n’apprenait pas ça à l’École de police. Il n’y avait qu’à attendre que les années passent, le plus activement possible, poser les mêmes questions encore et encore, déchiffrer les visages, écouter les paroles tout en essayant de comprendre leur sens caché. Déjà à ses débuts en 1987, Winter savait que les spécialistes de littérature parlaient d’hypotexte, et ce terme pouvait également s’appliquer aux interrogatoires de police : il pouvait y avoir un abîme entre ce qui était dit et ce qui était gardé secret.