Comment survivre à sa propre famille

De telles procédures sont fréquentes dans le cadre thérapeutique même. Le patient tente souvent de reproduire avec le thérapeute le type de relation qui lui est coutumier, et que, pour ainsi dire, il "maîtrise", afin de préserver la construction du monde qui est la mienne sans avoir à s'exposer. Si le thérapeute accepte cette invitation mais ne rentre pas dans la danse, une situation nouvelle se crée qui permet de passer de la répétition à la différence. Un vécu inédit éclot chez le patient : il pourra, dès lors, l'exporter hors séance.

Si les hasards de la vie n'émettent pas la note particulière qui peut réveiller nos dragons endormis, nous évoluons avec nos monstres intérieurs, dont nous ne soupçonnons guère la présence discrète, comme ce personnage de dessin animé, Dr Magoo, qui ne se rendait pas compte des risques que son intense myopie lui faisait, à maintes reprises, courir...

La souffrance psychique a souvent un mode d'être paradoxal ; elle s'alimente de la crainte d'une douleur plus grande encore.

Il nous suffit de souligner ici que Norman Paul insiste sur l'importance d'un rituel du deuil, d'un processus qui, mené jusqu'à son terme, en permette l'accomplissement. C'est pourquoi il crée en séance des contextes spécifiques qui l'appellent ou y conduisent, et, pour libérer des affects jusque-là bloqués, il s'efforce même parfois d'induire une réaction différée, qu'il appelle "deuil opérationnel".

Le thérapeute Norman Paul a souligné l'importance, dans le tissu de nombreuses vies, de semblables "deuils non faits". Il a notamment insisté sur leur teneur culturelle : la civilisation occidentale, contrairement à f'autres cultures qui ont su mieux préserver leurs pratiques et significations traditionnelles, ne favorise pas un travail apaisé du deuil. C'est comme si le deuil tuait une seconde fois la personne, alors que, dans la culture malgache, par exemple, il lui donne le statut d'une déité accompagnatrice et tutélaire.

Si je parviens pourtant à résister aux invites de la répétition, à la tentation de reproduire mes anciennes réparties, les répliques si familières de notre pièce commune, si je laisse du nouveau advenir, si je m'engage et si je m'expose, alors je peux libérer l'autre, et moi aussi par la même occasion. Je découvrirai alors que ma liberté dépend, beaucoup plus que je ne le supposais, de celle des autres. Charité bien ordonnée ne commence pas par soi-même, mais bien par l'autre.

... maintenir l'autre enfermé dans son bunker contribue finalement à maintenir sa souffrance;

... quelle est l'utilité pour ma mère ou mon père de ma réaction à leur égard ? Partir en effet de l'hypothèse que ma réaction est sculptée par l'autre pour lui permettre de renforcer sa vision du monde peut, bien souvent, me libérer.
Pourquoi ? Parce que mon interrogation change alors de nature. Ai-je envie de maintenir ce type de relation en réagissant comme je le fais ?

[Pas "causer" : "déclencher"] ... ni les éléments venus du passé, nu le comportement de l'enfant ne "causent" ; ils font seulement partie d'un assemblage qui déclenche quelque chose de potentiellement sensible ou fragile...

Car nos sentiments et notre perception ne sont pas réductibles à nous ; ce que nous ressentons, notre "vécu", a aussi une fonction pour l'autre , c'est l'un des aspects de ce que j'appelle une résonance.