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Citations sur Le bâtiment de pierre (39)

J'écris la vie pour ceux qui peuvent la cueillir dans un souffle, dans un soupir. Comme on cueille un fruit sur une branche, comme on arrache une racine. Il te reste le murmure que tu perçois en plaçant ton oreille contre un coquillage vide. La vie : mot qui s'insinue dans ta moelle et dans tes os, murmure évoquant la douleur, son qu'emplissent les océans.
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Mais revenons à A.. Personne ne fait attention à lui. Il gît comme un sac vide devant une fenêtre. Il s'est vautré ainsi devant toutes les portes auxquelles il a frappé. Toutes les rues lui appartiennent, mais il ne va nulle part. [...] La vitre crasseuse réfléchit l'image de son existence. Elle est couverte de taches. Son existence est un poème sur l'homme.
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Autrefois, j'ai aimé quelqu'un. Il est parti en me laissant ses yeux. Il n'avait personne à me laisser. Aimer... ce mot-là, je l'ai trouvé dans mon cœur, en sondant inlassablement ces épaisses ténèbres.
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Demain le 29 décembre a lieu le procès d'Asli
Une lecture pour "on n'enfermera pas sa voix"

TON ULTIME PAYS LIBRE p.39-42
Le Bâtiment de pierre - Asli Erdogan

Tu te traînes sur le ventre, tu rampes sur des
pierres de la couleur de l'homme, tu cherches
une main amicale, un mot auquel t'agripper
pour te hisser, un fleuve qui t'emporte. Un
fleuve qui mette fin au silence. Tu cherches un
mot, une main ... en gémissant, en tremblant, en
claquant des dents ... Tu laisses des empreintes
tout le long du mur, roses qui se fanent sitôt
écloses, avec leur rouge intense, leurs replis et
leur parfum ... Tu voudrais être mort, devenir
un être ailé, ne jamais être né. Que n'y a-t-il un
dieu auquel tu puisses dire: "Pourquoi m'as-tu
abandonné ?" Tu rampes sur les genoux, sur
les coudes, tu sors de ton corps comme une
rivière se retire de son lit asséché. Tu fermes
les yeux pour les rouvrir dans un autre monde.
Un monde pas encore mort, pas encore créé ...
Tu avances lentement, à grand-peine, dans
cette nuit toujours semblable, vers la fenêtre au
bout du mur, vers ce visage humain émacié et
étrange que reflète la vitre embuée ... Couvert
de taches, disloqué, intemporel. Tu chemines
vers le monde extérieur dont les contours indécis
apparaissent derrière ton reflet. Vers l'appel
bleu comme la glace de l'étoile du berger - ton
étoile, désormais - qui t'attend à l'horizon ...
Tu prends appui sur le rebord de la fenêtre, tu
te lèves lentement, comme la lune nouvelle se
lève sur les ruines. Tu voudrais gravir l'escalier du
ciel, te changer en une clarté d'un or pâle et faire
pleuvoir tes rêves sur la nuit, sur les eaux ténébreuses,
sur le long sommeil agité des hommes,
sur les forêts incendiées. On ne distingue plus
l'obscurité de la pierre de celle de la nuit, la nuit
de la pierre de celle de l'homme. (Pégase est né
de la tête fracassée de la Méduse, du sang le plus
ancien, des veines de la pierre, et il s'est changé
en étoile. Or les étoiles n'appartiennent qu'aux
défunts, la Voie lactée dessine leurs visages.) Sans
mot dire, tu tournes tes regards vers le bas, tu
vois les toits brillants d'humidité, les rues où nul
ne remarque ton absence, les places, les ponts, les
lumières sophistiquées, indifférentes, indécises,
de la ville... Horizons qui ne promettent qu'une
nouvelle disparition. Tout seul, à grand-peine, tu
te mets debout, par-delà l'espoir et le désespoir,
le bien et le mal, tes bras sans force pendent à
tes côtés comme des ailes brisées. Dans un courant
d'air froid, ton ultime pays libre te fouette
le visage, un vent chargé d'éternité disperse tes
cheveux, mais il rassemble tes morceaux épars et
te rend ton visage. Sur tes yeux privés de sommeil
passent doucement les doigts du clair de
lune, ils te montrent la vie comme un miracle
et se posent sur tes paupières sans te faire mal.
Désormais ton corps tout entier est invulnérable,
il vibre comme un arc tendu, il attend aux portes
du monde son dernier exil. Ton voyage n'est
plus qu'une paire de battements de cœur d'un
horizon à l'autre, l'étoile du matin, ton étoile,
te tend une corde pour la rejoindre, tu prends
pour la première fois conscience de ton innocence
en posant la tête sur la nuit épineuse. Seul,
vaincu et altier, tu t'appropries tous les destins
qui s'entrecroisent ici, en te balançant en silence
dans le vent, tu t'élèves, bien droit, au-dessus des
mensonges de la vie et de la mort. Une fois de
plus, la dernière, on entend les accents sublimes
du chœur, il débute doucement, puis s'amplifie
peu à peu, s'élève en vagues successives par-delà
les cieux et les nuits, dominant tous les bruits et
les silences du monde. "Ne t'arrête pas ! Saute !
Jette-toi dans le vide ! "Ce qui vous appelle, toi
et ta solitude, avec ta propre voix, c'est ce chœur
ineffable et somptueux, les tambours de la victoire
ou de la défaite, et le vent ... Le vent.
En remerciant les étoiles, dans ce matin sans
étoile où tu es mort dans une inexorable solitude,
d'un seul mouvement de ta tête affaissée,
tu as arrêté la nuit. Tu l'as arrêtée pour nous
tous. Très tôt, perché sur l'escalier de pierre qui
s'élève vers les cieux, tu as déployé tes ailes, l'une
vers la lumière, l'autre vers les ténèbres. Tu as
allumé la dernière bougie de ta résistance et en
souriant, peur-être, tu l'as offerte au jour naissant.
À cet instant-là une étoile est ressuscitée. Et
tu m'as laissé tes yeux pour que je puisse regarder
la vie comme un miracle.
Après tout la nuit finira, une aube nouvelle
éclairera le monde. La porte va s'ouvrir et la
grande parade des cieux, des déserts célestes, va
commencer.
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présentation : Le Bâtiment de Pierre Asli Erdogan actuellement emprisonnée et ce depuis août 2016 pour ses écrits et en attente de son procès le 29 décembre 2016

Au coeur de l’onirisme, à la frontière du visible et de l’invisible, entre mémoire, rêve et cris, une femme se souvient du Bâtiment de pierre. Dans cette prison, des militants politiques, des intellectuels récalcitrants à la censure, des gosses des rues – petits voleurs de misère – se retrouvaient pris au piège.
De ce monde de terreur véritable, la narratrice de ce récit est pourtant revenue et sa voix, en une étrange élégie, se fait l’écho d’un ange, un homme qui s’est éteint dans cette prison en lui laissant ses yeux.

Ce livre est un chant dont la partition poétique autorise le motif en lui donnant parfois une douceur paradoxalement inconcevable. Un texte rare sur l’un des non-dits de la vie en Turquie.

http://www.actes-sud.fr/catalogue/societe/le-batiment-de-pierre
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Nous rirons plus tard, pour l’instant je vais
vous emmener dans le bâtiment de pierre. Arrivé
à l’angle de l’édifice, vous aurez l’impression
d’être dans une impasse, mais droit devant, au
pied de l’escalier, la rue tourne à gauche. Vous
vous arrêterez là pour dire adieu au monde des
hommes. Le chemin qui nous a menés ici est
sans retour. Dedans, nuit et jour, la lumière est
allumée, tout est exposé à une clarté violente et
impitoyable et chacun est réduit à son ombre.
À chaque question, il faut faire une réponse
brève, une destinée tient en quelques phrases.
Il faut avouer. Le temps n’a plus d’autre sens.
L’homme est le plus vieux des mystères, c’est de
la matière qui parle.
Autrefois, j’ai aimé quelqu’un. Il est parti en
me laissant ses yeux. Il n’avait personne à me
laisser. Aimer... Ce mot-là, je l’ai trouvé en
fouillant dans mon cœur, en sondant inlassablement ces épaisses ténèbres. Mais personne
ne m’a dit que “chacun tue celui qu’il aime” !
Nous étions ensemble dans l’édifice de pierre.
J’ai longtemps prêté l’oreille aux bruits. Quand
mon tour est venu, le jour n’était pas encore levé.
Bien sûr, vous ne me croyez pas. Vous pensez
que ce bâtiment est issu de mon rêve ? Mais
nos rêves ne sont-ils pas le levain de la pâte dont
nous sommes pétris ? Finalement, l’aube va
naître, des traînées rouge sang vont apparaître à
l’horizon... Dans le ciel tendu, terne, tout plat,
les étoiles vont se solidifier et disparaître l’une
après l’autre. La dernière laissera pendre une
corde vers le bas, vers nous. Ta nuit muette, tes
mots coupés en deux et ensanglantés, tes ombres
errantes, privées de leur maître, tes rêves couleur
de cœur dont personne ne veut, tes mots
ailés vont pouvoir y grimper... Tous tes rêves,
venus vivre parmi nous et repartis sans crier gare,
vont pouvoir se hisser vers les profondeurs...
Dans les tréfonds où se perdent tout homme
et toute chose...
Mais vous ne m’entendez pas ? J’aurais peut-
être dû faire mon récit au passé. J’ai attaqué
ma chanson dans le mauvais sens, par la mauvaise
note.
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DERRIÈRE LE MUR
Le mur qui te sépare de toi-même est froid et humide, tout percé, excavé par des milliers de mains, couvert de mots que des milliers d'autres mains ont effacés. Avec des traces de doigts, couleur rose fanée. Roses de ta mémoire, déployées en bouquets, avec leur rouge intense, leurs replis et leurs épines... Par-delà ce mur de pierre, ta voix la mieux assurée parle avec toi. Elle t'appelle : "Es-tu là ?". Et elle te console , te rassure...
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Imaginez ceci : dans la rue qui mène au bâtiment de pierre, il y a un café, devant le café, été comme hiver, se tient un homme. A l’intérieur du bâtiment, une immense cour. Bourdant les escaliers qui entourent la cour, des fils de fer barbelés dépassant la taille d’un homme…
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Toi, tu es resté au beau milieu d’une phrase que l’aube n’a pas pu t’arracher. Avec dans tes yeux un scintillement cendré. Tu as allumé la dernière bougie de ta résistance et tu l’as offerte à l’aube.
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L'art de conter une histoire n'est-il pas un peu celui d'attiser les braises sans se brûler les doigts?
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