Desiderare, seducere
Le désir est un désastre qui peu à peu
s’accumule silencieux à l’ombre
d’oliviers intérieurs. Comme il est lent, cet art
qui vient de loin : et l’office des vagues,
la séduction du corps parmi les routines du jour,
et tout se met à chanter.
Le corps vidé, à Delphes, servir d’abri
aux étoiles; un lieu invisible où,
aveugle, je me suis baigné dans les eaux
primitives. Pur tout voir. Et j’ai vu le tourment,
plus vaste que le désir : et j’ai souhaité mourir,
et je suis mort, dans tes soieries lus intimes.
(Casimiro de Brito)
Femme
Tu as ramené ma terre.
Rouge, légère,
piétinée par tyrans et ennemis.
Tu as ramené les pluies
de l’automne marin qui lavaient
de sa poussière mon visage
et je sentais sous la chair
les mêmes vertèbres de montagnes
qui à travers les siècles
ont fait tenir la patrie debout.
(Titis Patrikios)
J'allais
chercher le souffle de l'homme
une parole sur des lèvres de glaise
un visage qui s'offrirait à mon regard
qui donnerait sens au monde
le délivrerait des reptiles qui le rongent
(Avrom Sutzkever - Israël)
Nous étions sept par temps de véhémence et de promiscuité
Cinq enfants et deux platanes aux bras raccourcis
La première neige tombait du front de la mère
mouillait son corsage plein à craquer de noix creuses et de cris
La mère portait son chagrin sur sa paume et soufflait dessus.
(Vénus Khoury-Ghata - Liban - en français)
On quittera toujours la mer à reculons
c'est toujours le même regret
c'est la même lenteur debout
qui vous déchire d'avec le pays
chaque adieu vous retourne infiniment
chaque pas qu'on pose hors de l'eau
veut creuser jusqu'à l'eau encore
Ludovic JANVIER
Un homme obscur dans une ville lumineuse
Extrait 1
Cet homme, qui vient de sortir d’une porte de pierre est un animal au cœur blessé, aux yeux embués, à la démarche vacillante. La lumière est pour lui trop intense parce qu’il la voit à travers les fleuves souterrains du sommeil. Les regards de la foule le maintiennent dans une terreur nocturne et ses épaules se soulèvent dans la prison de leurs muscles.
…
//Antonio Ramos Rosa (1924 – 2013)
//Traduction du portugais par Michel Chandeigne
Cette pomme pour toi
cette pomme pour moi
Cette pomme
pour l'absent à nos yeux
présent dans nos coeurs
Pleurez ô arbres
pierres
poissons
oiseaux
Que s'émeuve le pays
Qu'il dénoue ses entraves
se laisse pousser des ailes
et se glisse parmi nous
Abdellatif Laabi
Préhistoire
Ils ont ouvert la porte et nous sommes entrés
comme des anges dans la maison d'Abraham
où des peaux de mouton frisées
et des cornes de bouc pendaient aux murs blanchis.
Près d'un ancien four, volcan éteint
à l'ombre de la treille ils ont apporté
des raisins très noirs du fromage frais et l'agneau
ont déposé le fructueux message à nos pieds
puis ont disparu
comme s'ils étaient les envoyés de Dieu
et nous les desséchés, les désertiques.
//Stratis Pascalis (1958)
Traduit du grec par Michel Volkovitch
Quelqu'un n'a pas posé sa main sur ma nuque
aussi le manque n'à t il pas de visage
il est là simplement comme un toucher froid
un rappel de la parfaite solitude
Contrées du silence
Villes de papier noir et de fil dans des vallées sans air.
Trains bloqués dans des lacs de goudron.
Aérodromes couverts de toiles d’araignées.
Mousse qui envahit les toits des automobiles.
Maisons où des statues de pierre gisent emmaillotées.
Nuages entrés par les portes sortant par les fenêtres.
Couchers de soleil qui durent des siècles.
(Vlada Urosevic)