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Critique de Charybde2


« Même la dernière goutte d'essence permet encore d'accélérer » : écrit en 2007, autour du pic pétrolier d'un proche avenir et de ses conséquences sociales et politiques, un thriller bouillonnant de dépendance au carbone et aux richesses, par un maître allemand de la science-fiction.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/11/08/note-de-lecture-en-panne-seche-andreas-eschbach/

Markus Westermann, commercial allemand en logiciels de finance, effectue un court séjour aux États-Unis, où il participe avec une trentaine de collègues du monde entier à l'effort de « régionalisation » d'un nouveau produit. Brûlant de se joindre par le haut au grand rêve américain de consommation démesurée, mutant en quelques semaines en arriviste déterminé, il fait la connaissance, par des moyens détournés et par l'entremise de son nouvel ami brillant informaticien Keith R. Pepper, du fonds d'investissement mondialement connu PPP (Peak Performance Pool) et surtout, par hasard, de Karl Walter Block, irascible savant autodidacte autrichien, qui a inventé une méthode scientifique pour trouver du pétrole à coup sûr et y compris sur des terrains réputés vierges de toute trace ou possibilité d'or noir, sans les coûteux aléas des forages d'exploration trop souvent « secs », et qui cherche des partenaires financiers de confiance pour partir avec cette martingale à la conquête du monde de l'oil and gas et de ses richesses si colossales.

Werner et son épouse Dorotea (née Westermann et soeur de Markus) viennent d'acheter une maison de rêve dans la campagne allemande, un peu à l'écart de « tout », mais fort vaste et disposant d'une vue superbe et dégagée sur les collines avoisinantes. Seul problème véritable : la maison est exceptionnellement gourmande en chauffage, compte tenu de sa conception, mais bon, ce n'est pas si grave…

Charles Walker Taggard est un agent discret et effacé de la CIA, marqué par un terrible drame (la greffe destinée à sa fille mourante n'a pas pu arriver à temps pour la sauver, contre toutes attentes – car l'opération chirurgicale avait lieu aux États-Unis le 11 septembre 2001, après l'interdiction temporaire de tous les vols, sans exception). Depuis lors, il a appris l'arabe et obtenu sa mutation en Arabie Saoudite, dont les liens avérés avec Al-Qaida l'ont personnellement bouleversé.

Avec ces personnages principaux imaginés pour organiser un déroulé rusé, riche en flashbacks et en coups de théâtre qui ne devraient pas en être si l'aveuglement né de l'avidité n'était pas si puissant, au niveau d'hommes et de femmes « presque ordinaires », mais disposant chacun de bribes-clé d'information, bribes qu'ils ne savent pas nécessairement déchiffrer en temps et en heure, Andreas Eschbach nous entraîne dans un gigantesque et brillant tourbillon sur le choc alors encore à venir, celui du « pic pétrolier » (ou peak oil dans la langue des hydrocarbures), moment redouté que les économistes des lobbys carbonés ont toujours voulu repousser conceptuellement (« lorsque les prix monteront avec la perspective de rareté, l'exploitation de gisements plus difficiles deviendra parfaitement rentable »), lorsque la montée des prix des hydrocarbures devient telle que le monde, qui n'y est bien entendu absolument pas préparé, vacille sur ses fondations, en méditant la première phrase du roman : « Même la dernière goutte d'essence permet encore d'accélérer. ».

En parcourant méticuleusement, au fil de son roman, l'histoire et la géopolitique des hydrocarbures (on songera certainement à l'excellent travail de l'historien américain Daniel Yergin, « Les Hommes du pétrole – Les maîtres du monde 1946-1991 », comme au magnifique roman de l'ombre manipulatrice qui finit par se perdre elle-même, le « La femme qui avait perdu son âme » (2013) de Bob Shacochis, voire à la ruse géopolitique utilisée, dans un tout autre registre, par Tom Clancy au début de son « Tempête rouge » de 1986), Andreas Eschbach réussit ici un coup de maître, celui de transformer une profonde réflexion sur la dépendance mondiale au pétrole et au gaz en expérience de fiction spéculative redoutable et ciblée. Publié en 2007 (douze ans après le coup d'éclat initial de son oeuvre que constituait « Des milliards de tapis de cheveux ») et traduit en français en 2009 par Frédéric Weinmann chez L'Atalante, « En panne sèche » illustre également ce talent particulier qu'ont certains auteurs allemands pour évoluer avec une grâce efficace à la frontière toujours dangereuse du travail authentique de science-fiction et du techno-thriller tel qu'hérité des années 1980, plus abordable (on pense bien sûr aussi au Frank Schätzing de « Abysses » (2004), dont on attend avec une curiosité certaine l'adaptation en série télévisée prévue en 2023).

Lien : https://charybde2.wordpress...
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