«Intérieurement, pourtant, je savais que les trafiquans d'esclaves n'abandonneraient jamais une telle vache à lait. L'un des business internationaux les plus lucratifs qu'on ait connus, comprenant le transport à grande échelle des Blancs embarqués par millions du continent Europa vers les îles du Japon-Occidental, ainsi baptisées quand le « grand » aventurier et explorateur Chinua Chikwuemeka, qui essayait de trouver une nouvelle route vers l'Asie, les avait confondues avec les légendaires îles du Japon. le nom leur était resté.
Me voici donc, habitante du Royaume-Uni de la Grande-Ambossa (R.U. ou G.A. en raccourci), lui-même partie du continent Aphrika. Qui se situe juste de l'autre côté de la Manche ambossane. On l'appelle aussi le continent ensoleillé, du fait de la chaleur torride qui y règne.
La Grande-Ambossa est en réalité une très petite île avec une population croissante qu'il faut nourrir et qui donc déplie ses petits doigts avides sur la totalité du globe, dévalisant des
pays et volant des personnes.
Moi y compris. Je suis l'une des Personnes Volées.»
Des racines blondes,
Bernardine Evaristo @bernardineevaristo @editions_globe
Puissant🔥
Ce roman est absolument incroyable et bien pensé! Il réécrit l'histoire en inversant les rôles: ce sont les Blancs qui se retrouvent esclaves des Ambossans!
«Les Ambossans sont en général un peuple fier et vigoureux.
Selon une plaisanterie largement répandue, les Gambiens frappent à la porte, les Ghanéens la poussent et l'ouvrent, et à votre avis que font les Ambossans ? Ils la défoncent, mec !
Bwana était un vrai chef ambossan. Il avait les lèvres humides et spongieuses d'un homme habitué à les satisfaire, le nez large et poreux qui se fronçait quand il était agacé et suintait quand il enrageait, les épaules rigides de Monsieur Muscle et une corpulence qui lui conférait la solennité d'un vieux dictateur militaire.
Le riche mâle ambossan, souvent agile et mince comme un lévrier dans sa jeunesse, se forge un blindage de graisse en vieillissant. Un gros homme non seulement occupe un espace physique démesuré, mais marche en se dandinant et avec la lenteur de quelqu'un dont l'autorité n'est jamais mise en cause.»
Autant vous le dire directement: ce livre est une pépite! 👌🏼 le décor est planté dès le départ et les références à l'époque sont diverses et bien étayées!
« Ma seconde camarade de chambre était la jeune et joyeuse
Sitembile, qui venait d'avoir vingt ans. Elle aimait nous rappeler, à nous humbles mortels, qu'elle était née princesse Olivia de
Champfleur-Saxe-Cobourg-Grimaldi-Bourbon-Orléans-Habsbourg dans un palais de l'ancien territoire de Monaco.
Prise en otage au cours d'une guerre contre les Français, elle avait été vendue à ses kidnappeurs par son père le roi qui refusait de payer une rançon pour la libération d'une fille alors qu'il avait déjà cinq fils héritiers de la couronne.
Sitembile occupait la position enviée de laveuse des toilettes de la maisonnée, vidant approximativement cinquante pots de chambre tous les matins, avant de passer le reste de la journée à écoper les chiottes et à les arroser de désinfectant à la chaux pour dissuader les insectes et les mouches. »
En inversant les rôles, en transposant le vécu, la réalité prend une toute autre forme! C'est criant de réalisme, brut, violent, sans demi-mesure!
« Ils ont amené les « rebelles ». Un spectacle allait commencer.
Slade n'était pas parmi eux.
Puis j'ai aperçu Garanwyn, qui se traînait sur le sol en s'aidant d'un bras. On lui avait brisé les rotules. Les yeux disparaissaient sous des enflures et des ecchymoses. le côté droit du visage avait deux fois sa taille normale. Il lui manquait l'oreille gauche, la droite était de la chair ensanglantée. La poitrine s'était effondrée comme si on en avait extrait toutes les côtes. Un bras pendait, désarticulé. Il n'avait pas d'ongles aux mains ni aux pieds. Ses parties génitales étaient de la bouillie. »
La puissance du récit repose aussi sur le fait qu'il est à deux voix: un premier livre raconté par Doris, l'esclave qui souhaite retrouver sa liberté…
« Les Ambossans nous qualifiaient de tribus, mais nous étions des nations, chacune avec sa propre langue et ses drôles d'anciennes coutumes, comme dans les Territoires Frontaliers, où les hommes portaient des jupes en tartan sans caleçon dessous.
Les Ambossans qualifiaient aussi l'Europa de Continent Gris, à cause de ses ciels toujours couverts.
Mais si vous saviez combien me manquaient ces ciels gris nuageux.
Combien me manquaient le crachin et le vent qui me frappaient les oreilles. »
… un second livre de la main du Bwana, Seigneur puissant et incontesté, convaincu de sa légitimité…
« du fait qu'il est si rabougri, le cerveau caucasoïnide n'éprouve que des émotions émoussées. Tout comme les bêtes de somme qui travaillent les champs, le Caucasoï est incapable d'une émotivité aiguë, car son statut de Néo-Primate le situe à quelques pas seulement du règne animal et de ses besoins d'Ambulation, d'Agitation, de Capitulation, de Somnambulisme, d'Ejaculation, de Procréation, de Mastication, de Procrastination et d'Hibernation. »
Le troisième livre enfin rend la plume à Doris avec quelques incartades de Chef Kaga Konata Katamba Ier. Ce qui permet de rendre le récit plus vivant, plus intéressant avec l'alternance des points de vue et l'expérience de chacun.
« Oui, Cher Lecteur, les indigènes de ces terres commencent seulement maintenant à émerger des profondeurs abominables de la sauvagerie que nous, nations civilisées, avons abandonnée dans les temps préhistoriques. »
Un livre brillant et passionnant, un regard différent et percutant, une histoire d'esclavage comme vous n'en avez jamais lue!
Une pépite je vous dis 🌟