Jamais plus, disons-nous : Dieu ne le permettrait pas. Nous disons non à la torture, et nous trouvons une raison pour torturer au nom de la démocratie. Nous disons non à des milliers de morts par l'explosion d'une seule bombe lâchée sur une ville étrangère sans défense, puis nous recommençons, avec cent milles bombes cette fois-ci. Nous disons non à des millions de morts dans des camps d'extermination, puis nous revenons à la charge, avec des millions de morts dans des goulags. L'homme est un poison. Peut-être vaudrait-il mieux que nous n'existions pas du tout.
Le problème avec la foi, pensa Horkaï, c'est qu'on ne peut pas en discuter. Même problème, concéda-t-il, pour l'absence de foi.
Comment pourrais je aimer ou ne pas aimer quelqu'un dont je ne comprends la raison d'être qu'imparfaitement ? Je peux parler de vous, par contre, avec plus de compétence. Vous êtes la charge. De ce que je saisis de cette portion là de votre raison d'être, vous l'accomplissez admirablement bien. Vous êtes résistant sans être excessivement lourd. Vous ne vous débattez pas lorsqu'on vous porte, vous ne criez pas sauf si vous êtes blessé, et vous ne tombez pas bien que vous ne soyez pas attaché. Charge, j'apprécie la manière dont vous accomplissez votre raison d'être.
La vie commence à revenir, doucement mais sûrement. D'ici cinq ans, on pourrait même voir apparaître de l'herbe. Une décennie ou deux de plus, et des plantes fleuriront. Ajoutez cent ans, il se peut qu'on commence à voir des arbres. Tout cela continue à exister d'une manière ou d'une autre. La seule chose que nous autres humains avons réussi à détruire est nous-mêmes.
Nous sommes une malédiction, un fléau. Nous avons commencé par donner des noms à toute chose puis nous avons inventé la haine. Puis nous avons commis l’erreur de domestiquer les animaux, une erreur presque aussi grave que la découverte du feu. A partir de là le lien est facilement fait avec l’esclavage, et une fois qu’on considère les hommes comme des animaux -comme des mules, par exemple, continua-t-il en lançant un regard à Horkaï -, nous devenons un bien jetable, la guerre devient monnaie courante. Ajoutez une religion majoritaire qui prêche la fin des temps et des livres sacrés utilisés pour justifier une atrocité après l’autre, et de là l’annihilation, il n’y a qu’un pas. Il est préférable de ne pas laisser la société se développer du tout, d’abandonner chaque personne à son propre sort, seule, tremblante, et effrayée au milieu des ténèbres.
- La Bible. Au bûcher elle aussi ?
- Bien sûr. Elle est responsable de plus de morts que n'importe quel autre livre, Mein Kampf inclus. Il aurait mieux valu qu'elle ne soit jamais écrite.
Ils se turent un moment. Le problème avec la foi, pensa Horkaï, c’est qu’on ne peut pas en discuter. Même problème concéda-t-il, pour l’absence de foi.
Ça voulait dire qu'il ne pouvait pas se fier à ses sens, qu'il ne pouvait pas se fier à ce qu'il éprouvait et, par conséquent, ne pouvait pas se fier à ses propres pensées. L'esprit est un maitre illusionniste.
Des noms, des catégories, des divisions. Dès que vous désignez une chose, vous apprenez à la haïr.
Qu'y a-t-il de plus terrible que de rester en vie quand tout le monde meurt autour de vous ?