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Critique de Isidoreinthedark


« L'infini du vide sera autour de toi, tous les morts de tous les temps ressuscités ne le combleront pas, tu y seras comme un petit gravier au milieu de la steppe ». »
Samuel Beckett, « Fin de partie ».

Cette épigraphe beckettienne donne le ton du roman de Brian Evenson, une dystopie hallucinée et paranoïaque, une longue plongée au coeur d'un monde dévasté par l'apocalypse, qui a quasiment détruit toute forme de vie, humaine, animale ou végétale.

« immobilité » débute par le réveil violent de son héros, Josef Horkaï. Ce dernier ne garde aucun souvenir d'avoir été stocké, ni des jours qui ont précédé son stockage, et encore moins de sa vie avant le « Kollaps », qui a mis fin au monde tel que nous le connaissons.

Doté d'une force étonnante, Josef se débat lors de l'opération, au point d'amocher les hommes de main chargés de le ramener à la vie. Ses souvenirs sont flous et épars. Josef n'est plus certain de rien, à l'instar des héros dickiens qui peinent à discerner le réel du rêve. Est-il vraiment revenu au monde ? Est-il en train de rêver ? Où se situe la frontière entre les limbes dont il a émergé et la réalité d'un monde dévasté ?

À peine remis sur pied, il saisit qu'il fait partie d'une communauté dirigée par un dénommé Rasmus, qui lui inspire une confiance toute relative. Ce dernier lui apprend que l'absence de sensation dans ses jambes a vocation à durer, dans la mesure où malgré sa force brute, il est paraplégique et atteint d'une maladie incurable.

Josef n'a pas le temps de se familiariser avec la réalité qui l'entoure, ni d'obtenir de réponses tangibles à ses questions. On lui confie en effet une mission de la plus haute importance, dont dépend l'avenir de la communauté de survivants qui vient de le « déstocker ». Il s'agit de récupérer un objet essentiel, une capsule congelée contenant des graines, située à l'extérieur de l'abri où se sont réfugiés les survivants.

Le héros découvre progressivement qu'en plus de son handicap et sa mystérieuse maladie, il est fondamentalement différent. Ni vraiment humain, ni vraiment non humain, il dispose de la capacité de survivre à l'air vicié qui pollue la planète et de se « mouvoir » à l'extérieur de l'abri sans mettre ses jours en danger.

Deux hommes qui semblent frères, Qanik et Qatik, ont été formés pour aider Horkaï à accomplir sa périlleuse mission. Surnommés les « mules », leur raison d'être est de porter ce dernier jusqu'au lieu où la précieuse capsule est cachée et de le ramener sain et sauf en possession du trésor tant convoité. Tout entier revêtus de combinaisons protectrices, ils quittent les lieux en portant sur leurs épaules le héros « immobile » de ce roman aux allures de cauchemar.

Le lecteur féru de S.F. retrouve dans le roman de Brian Evenson les tropes du roman post-apocalyptique. Une planète terre dévastée par une série sans fin de conflits. Des humains apeurés et regroupés en communautés dirigés par des chefs à l'intégrité douteuse. le surgissement d'êtres « intermédiaires », tels que le héros, qui ont développé une capacité de résistance étonnante aux conditions de vie épouvantables du « nouveau monde ».

Et pourtant. L'originalité et la force de percussion de ce roman très sombre tiennent au regard incertain posé par Josef Horkaï sur un univers aux contours mal définis. Notre héros fraîchement déstocké n'est sûr de rien et fait preuve d'une paranoïa évoquant l'un des maîtres du genre, Philip K. Dick. Horkaï accorde une confiance limitée aux dires de Rasmus, au peu d'informations que les « mules » veulent bien lui confier, ainsi qu'à ses propres souvenirs. Pire encore, il ne cesse de douter de ses propres intuitions et de la pertinence de son évaluation du « réel ».

Tout le brio de Brian Evenson réside dans cette économie d'informations communiquées au lecteur qui appréhende une réalité angoissante à travers le regard inquiet de son héros. Si les pièces du puzzle se mettent progressivement en place, une forme d'incertitude persiste. Derrière l'apparence d'une n-ième variation sur le thème du roman post apocalyptique, « immobilité » nous propose une plongée hypnotique au coeur de ténèbres qui nous sont progressivement dévoilées au travers du regard lacunaire et paranoïaque de Josef Horkaï.

Une beauté étrange émane de l'odyssée improbable d'un personnage paralysé, porté par deux improbables « mules », dans un paysage lunaire. le flou qui nimbe une intrigue traversée par l'éclat languide des fleurs du mal offre à « immobilité » un supplément d'âme qui lui permet de transcender le genre « post apocalyptique ».

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